mardi 8 septembre 2020

Dirigeants : comment se réinventer face au chaos ?


La crise du Covid-19 est profonde et notre système se caractérise désormais par la permanence du changement, des turbulences, en bref : du chaos. Un chaos face auquel beaucoup de dirigeants se trouvent démunis, constatent Bernard Marie Chiquet, fondateur de l’institut iGi et créateur du management constitutionnel, et Bruno Marion, futuriste et spécialiste des théories du chaos, en esquissant ci-dessous les leviers qu'il convient à leurs yeux d'activer. 



Indéniablement, nous traversons une crise fondamentale, systémique. La crise sanitaire promet de se transformer en crise économique et, pour certains, annonce une crise sociale inévitable. Comme déjà dans le passé, à quelques périodes clés de l’humanité, l’équilibre semble rompu, le système inexorablement s’éloigner de son point d’équilibre précédent, celui de février 2020.

Contrairement aux crises cycliques que nos sociétés, nos économies traversent à intervalles réguliers, la crise du Covid-19 semble bien l’expression de quelque chose de plus profond. Le point de rupture, ce fameux tipping point des théories du chaos, est bel et bien franchi. Un phénomène qui chaque jour s’amplifie. Vecteurs et symptômes de la crise s'enchaînent, s’accélèrent dans une espèce d’effet domino devenu hors de contrôle. Avec pour conclusion deux issues possibles : l’effondrement ou l’émergence.





Mais, pour nos sociétés comme nos entreprises, le chaos né du Covid-19 est aussi une opportunité de changer les choses. Sans faire preuve d’un optimisme béat, il est le catalyseur qui oblige chacun, au sein de l’entreprise et de l’organisation, à sortir de sa zone de confort. Le changement s’impose de lui-même. Le chaos nous invite à agir court et voir loin.

Cependant, puisque le retour à l’équilibre précédent semble illusoire, et peut-être peu souhaitable, nos organisations doivent se réinventer pour être compatibles avec le chaos qui nous entoure et, finalement, nous caractérise. Pour ce faire, pour émerger plutôt que s’effondrer, nos organisations doivent sans doute être capables de faire face, de s’adapter, en somme de refléter la complexité de leur environnement. Pour cela, trois leviers peuvent les y aider : un management constitutionnel, une raison d’être évolutionnaire et une capacité d’adaptation permanente. 

On a passé le tipping point

Pour tous les spécialistes des théories du chaos, trois éléments sont la parfaite expression de cette réalité : le nombre, la connexion, la vitesse et l’échelle. Le nombre c’est celui d’une humanité qui, en l’espace de cinquante ans, est passée d’un milliard d’êtres humains à sept. Et, depuis à peine deux décennies, hommes et femmes, par le miracle de la technologie, ordinateurs et smartphones, sont tous, ou presque, connectés, interconnectés. Alors que la nourriture et l’eau viennent à manquer à nombre d’entre eux, bien plus de la moitié ont accès à internet, à l’information et à la connaissance. Enfin, la vitesse et l’échelle, dont le Covid-19 est la parfaite illustration… Ou comment une crise sanitaire d’abord localisée peut, en quelques semaines, mettre à l’arrêt nos sociétés et nos entreprises, et ce au niveau mondial. Tous les symptômes du chaos sont bien là.


Le système ne reviendra pas à l’équilibre précédent et se caractérise désormais par la permanence du changement, des turbulences, en bref du chaos

Bien sûr, face à la crise, beaucoup s’acharnent à penser à l’après, que le système reviendra nécessairement à l’équilibre qui, comme on le leur a appris, le caractérise. Mais, les faits sont là. Le tipping point, ce point de rupture, a bel et bien été franchi. Le système ne reviendra pas à l’équilibre précédent et se caractérise désormais par la permanence du changement, des turbulences, en bref du chaos. Avec pour conséquence que beaucoup d’entre nous, beaucoup de dirigeants et patrons se trouvent démunis, incapables de gérer avec leur outils habituels, une situation qui s’accélère et se complexifie inexorablement. Enfermés dans le modèle d’organisation conventionnel, beaucoup essaient de réagir avec des solutions, des concepts devenus inopérants. Plus la crise se fait violente et visible, plus l’organisation se centralise et, en somme, répond au caractère protéiforme et complexe de la crise par une organisation simplifiée à outrance et, plus que jamais, hors-sol, éloignée des problèmes et donc des solutions.

Pour tenter de faire émerger son entreprise plutôt que de la voir s’effondrer et disparaître, le dirigeant n’a donc pas le choix. Il doit impérativement rompre avec une gouvernance qui n’est plus en rien adaptée avec la situation. Pour ce faire, il lui revient d’identifier les leviers qui vont lui permettre de transmuter son entreprise et, donc, d’avoir une chance d’émerger. Sur cette voie, les théories du chaos décrivent deux outils pour réussir à émerger. Profitant de la fin d’une forme de déterminisme qui fige les positions et les opportunités, certains peuvent profiter à plein de cet effet viral, cet effet papillon qui fait naître les Mark Zuckerberg (Facebook), Elon Musk (Tesla) ou Stanislas Niox-Chateau (Doctolib) pour ne citer qu’eux. Second levier, l’attracteur étrange, ce surplus d’âme, cette substantifique moelle qui, en plein chaos, invite chacun, chaque organisation à tendre vers sa nature profonde, vers ce pour quoi il est fait, vers sa raison d’être évolutionnaire. Dans ce chaos, qui n’est ni ordre ni désordre, l’attracteur étrange est un phare, un pattern dont on ne peut pourtant anticiper les mouvements.


Management constitutionnel et raison d’être évolutionnaire

Dans ce contexte, on le voit, l’entreprise et son organisation doivent abandonner définitivement le modèle conventionnel dit hiérarchique. Pour ce faire, le management constitutionnel offre la structure agile exigée pour faire face au chaos et accéder au nouveau niveau de complexité qu’il requiert, pour créer les conditions de l’émergence. En permettant à l’organisation de passer d’une structure pyramidale à une structure fractale, holarchique qui engendre une gouvernance évolutive et des processus clairs, transparents et efficients, des collaborateurs autonomes et responsables. Chacun, chaque rôle est mu par une raison d’être évolutionnaire –l’attracteur étrange dont parlent les théories du chaos – capable de s’adapter à un environnement complexe et changeant.

Plutôt que de répondre au chaos par la centralisation, la concentration, l’organisation est « upgradée ». A la complexité, elle répond par la complexité. Jugée jusque-là comme trop complexe par tous les tenants de l’organisation conventionnelle, le management constitutionnel permet, au-delà du tipping point, d’apporter des réponses, pas à pas. Réunions de triage, réunions de gouvernance, etc. Telle est la réponse qui doit être celle de tout dirigeant pour créer les conditions de l’émergence. Face au chaos ambiant, il peut désormais s’appuyer sur une multitude de rôles et de tensions qui sont autant de capteurs de l’environnement qui permettent à l’entreprise d’évoluer.

En somme, le management constitutionnel favorise l’émergence d’une organisation complexe pour naviguer simplement dans un monde plus complexe. Certains l’ont bien compris. C’est le cas notamment d’une entreprise comme Zappos. Ici, grâce au management constitutionnel qui la caractérise, l’organisation s’appuie pleinement sur chaque collaborateur. Focalisé sur sa propre raison d’être, chacun se concentre avant tout sur sa valeur ajoutée, tantôt client tantôt fournisseur, dans les interactions qu’il entretient avec ses collègues comme avec l’extérieur de l’entreprise. Chacun est en mesure d’exprimer sa « tension créatrice », de prendre les traits d’un entrepreneur, dans les limites et le périmètre de ses talents et de ses redevabilités.

Disons-le, pour beaucoup, la rupture est inattendue et brutale. Le changement de modèle d’organisation face au « monde de demain », s’il est difficile à accepter pour certains, n’en reste pas moins irréversible. Pourtant, la rupture a du bon. Elle est l’occasion de nous débarrasser de certains de nos biais cognitifs et de bâtir des organisations enfin adaptées à la complexité et à la richesse des sociétés, des économies et des hommes de demain, dès aujourd’hui.



Bernard Marie Chiquet - Bruno Marion - Usbek & Rica

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