mardi 24 novembre 2020

Albert Kahn : Rêver d'un monde nouveau

Lorsque Albert Kahn s’éteint en novembre 1940, la guerre est là. Ce qui l’a mobilisé toute sa vie, la recherche de la paix, est un échec. Le krach boursier de 1929, ainsi que les sommes englouties dans le mécénat, ont ruiné ce banquier philanthrope. 

Abraham Kahn est né en 1860 dans une famille juive alsacienne de marchands de bestiaux, contrainte de devenir allemande après l’annexion. Devenu Albert, le jeune homme de 16 ans monte à Paris et devient employé de banque. Il suit des cours du soir avec l’aide d’un répétiteur, Henri Bergson, alors étudiant à l’ENS et qui restera son ami toute sa vie. Au sein de la banque Goudchaux qui l’emploie, Albert Kahn se distingue par son flair pour les investissements juteux. Il grimpe les échelons jusqu’à devenir associé puis crée sa propre banque en 1898. Le voilà millionnaire. 

Profondément humaniste, il décide de consacrer sa fortune à la connaissance entre les peuples et à "l’établissement de la paix universelle". Tout au long de sa vie, le banquier mécène imaginera toutes sortes de moyens pour mettre en œuvre ce dessein et favoriser le dialogue international. 

Il fait d’abord aménager une propriété à Boulogne-Billancourt où il recevra intellectuels, artistes, scientifiques, prix Nobel de la paix du monde entier afin qu’ils se parlent et échangent. Ces mondanités sont destinées à montrer à l’élite que le monde est beau, varié mais menacé et qu’il faut le protéger. Il veut transformer leur regard. Il crée un magnifique parc avec des jardins japonais, français, anglais ainsi qu’une forêt vosgienne qui lui rappelle son enfance. Son jardin est un manifeste politique où se côtoient les différences. 

Il crée en 1898 des bourses de voyage d’une année pour les étudiants agrégés et futurs professeurs. Il sent alors le nationalisme monter, il a lui-même dû quitter son village écartelé entre la France et l’Allemagne. 

Sortez, courez voir le monde ! Oubliez tout ce que vous avez appris, gardez les yeux ouverts ! Albert Kanh

Des étudiants français en bénéficient mais aussi des allemands, des américains, des anglais, des russes, des japonais. Il ne leur est demandé quasiment rien en retour, un simple rapport de voyage, mais seulement de vivre au côté d’autres cultures, de s’imprégner d’autres façons de vivre et de penser pour mieux enseigner aux futurs citoyens. Parmi les bénéficiaires, 27 femmes agrégées parcourront le monde.

Albert Khan - Amis du musée

Albert Kahn a conscience qu’il vit un tournant dans l’histoire de l’Humanité : la révolution des transports, des communications, les découvertes techniques, sont en train de transformer le monde, de l’uniformiser, de l’occidentaliser. Il se met alors en tête de garder des traces des civilisations qui le peuplent. A partir de 1908 il se lance dans un projet inouï : réaliser un inventaire photographique de la vie des Hommes sur terre et constituer ce qu’il appelle les Archives de la planète. Précurseur à l’affût des inventions de son temps, il achète aux frères Lumière leur procédé d’autochrome qui permet d’obtenir des images couleurs ainsi que leurs appareils de cinéma. A partir de 1908 et durant plus de 20 ans, Albert Kahn va envoyer dans 60 pays des photographes et des opérateurs afin de fixer "une fois pour toutes des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps". Il documentera aussi de manière très riche le premier conflit mondial de 14-18 et ses ravages sur la vie des civils. Il rassemblera au total 4 000 clichés noir et blanc, 72 000 autochromes couleurs, et 183 000 mètres de films.

On connaît peu de choses de la vie privée d’Albert Kahn. Il n’a laissé finalement que peu de témoignages de la part de ceux qui l’ont côtoyé. Pourtant, sa démarche universaliste est profondément touchante et les images qu’il a contribué à produire ont une valeur inestimable pour l’Histoire de l’Humanité. Sa démarche résonne étonnamment aujourd’hui que nous vivons un basculement planétaire lié à la révolution numérique et à l’effet de l’activité humaine sur le climat.

Intervenants

  • Delphine Allanic, documentaliste au musée Albert Kahn
  • Yaelle Arasa, histoirienne
  • Gilles Baud-Berthier, historien, conservateur du patrimoine
  • Michel Farris, jardinier en chef des jardins du Musée Albert Kahn 
  • Serge Fouchard, documentaliste au Musée Albert Kahn
  • Adrien Genoudet, chercheur en histoire visuelle
  • Frédérique Le Bris, chargée de valorisation film et audiovisuel au Musée Albert Kahn
  • Anne Sigaud, historienne, chargée de recherche au Musée Albert Kahn
  • David-Sean Thomas, chargé d’exposition au Musée Albert Kahn


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