Quand l'IA prendra les manettes des services publics
Que l'on ait des réserves ou non à l'égard de l'Intelligence Artificielle, il ne fait aucun doute qu'à moyen terme, cette technologie est appelée à prendre une place considérable au sein des institutions publiques. Tout simplement parce que celles-ci sont de moins en moins capables de remplir les missions que l'on attend d'elles. Il y a deux millions de plaintes en souffrance dans les commissariats français, et ce chiffre ne cesse d'augmenter. Dans de nombreux pays de l'OCDE, la qualité de l'éducation est en recul, la durée de vie en bonne santé stagne (elle a même régressé dans une dizaine de pays, dont les États-Unis et la France), sans mentionner la transition environnementale qui s'amorce douloureusement, comme en témoignent les récentes manifestations des agriculteurs.
L'IA peut apporter une productivité considérable dans tous ces domaines, c'est pourquoi, tôt ou tard, elle prendra une importance prépondérante. Cependant, la nature systémique de cette technologie, qualifiée à juste titre de rupture anthropologique, nécessitera inévitablement une adaptation de nos institutions pour garantir une utilisation harmonieuse. Les IA sont intrinsèquement opaques, leur explicabilité étant généralement limitée. Afin d'éviter la construction d'une technocratie dommageable, il semble impératif de créer un grand corps citoyen, à l'instar de l'armée suisse, qui participerait à la co-construction de ces nouveaux services et les superviserait pour garantir que ces technologies ne sont pas le fruit d'une petite élite aux intérêts particuliers.
L'émergence d'un triopole composé de l'État, du service public citoyen numérique et des citoyens/usagers semble être une voie difficile à contourner. Cette perspective s'aligne avec les constats établis par Bayes Impact dans sa note sur le Service Public Citoyen. Ceux qui considèrent cela comme une vision naïve devraient prendre en compte la puissance acquise par le mouvement Open Source, même s'il était sous l'égide des méta-entreprises digitales américaines. Il serait envisageable de remplacer ces méta-entreprises par un financement public pour soutenir les fondations open source, ce qui pourrait ne pas représenter un coût supplémentaire, surtout en comparaison des dépassements de budget constatés dans la sous-traitance de projets, selon les informations de la Cour des Comptes qui rapporte une moyenne de 61%.
Évidemment, pour la culture étatique en France, cela représenterait un choc remettant en question la verticalisation forte. Cependant, étant donné que tout le monde semble s'accorder sur le dysfonctionnement du système actuel, ne serait-il pas judicieux de commencer à réfléchir à de nouvelles institutions face à l'émergence de cette technologie dont l'impact est présenté comme radical ?