vendredi 29 mai 2020

Julia de Funes : Ce qui changerait tout sans rien changer






"Profitons de la rupture, du temps d’arrêt que nous impose la catastrophe pour non pas sombrer dans l’immobilisme, mais ouvrir des perspectives. La vie suppose le mouvement, l’énergie, c’est pourquoi l’ignorance ne doit pas entamer l’ambition, ni le doute la volonté. Volonté de donner une nouvelle signification à ce que l’on vit, ambition de modifier certains aspects de nos existences. Subir de plein fouet de tels remous nous impose non pas des prédictions hasardeuses, mais une exigence renouvelée de lucidité. Quelles perspectives cette période ouvrira-t-elle sur notre rapport au temps, au progrès, au travail, aux autres, à soi-même ? C’est ce que la philosophe Julia de Funès esquisse dans ces quelques pages.

mercredi 27 mai 2020

Interview de Benjamin Louvet, spécialiste des matières premières

La crise sanitaire du COVID-19 vécue dans le monde entier qui a entrainé une récession économique a également atteint le domaine énergétique. Benjamin Louvet, spécialiste des matières premières aborde l’après-coronavirus dans le domaine des énergies renouvelables, du nucléaire, ….


DIANA FILIPPOVA : TECHNOPOUVOIR

Les technologies ne nous font plus rêver. 
Pan par pan, la mythologie du progrès s'effondre sous nos yeux. Le monde numérique se révèle chaque jour plus matériel, injuste et polluant. Internet lui-même ressemble à une vaste benne où nous venons déposer nos espoirs déçus. Les injonctions à reprendre le pouvoir tombent à l'eau : c'est que nous avons perdu la main. Et si les politiques des technologies n'avaient pas pour but de nous émanciper, mais au contraire de nous empêcher d'exercer notre pouvoir d'agir ? Et si les libertés dont elles font mine de nous gratifier n'étaient qu'un trompe-l'oeil pour mieux nier ce qui fait de nous des animaux politiques, nier notre capacité à critiquer, à contester, à nous rebeller ? Diana Filippova propose de déplacer notre regard et d'aborder les techniques comme un vivier de technologies de pouvoir — le technopouvoir. 

Son mobile : gouverner des êtres qui placent les droits et libertés individuels au-dessus de tout. Sa visée : servir les intérêts de certains aux dépens de nous tous. C'est ainsi qu'une nouvelle frontière électronique nous sépare les uns des autres, nous poussant à devenir des sujets parfaitement prévisibles, flexibles et gouvernables. C'est ainsi que le pouvoir échappe chaque jour davantage au royaume du politique. 

Ce livre est d'utilité publique : en disséquant la genèse et les stratégies du technopouvoir, il entreprend d'ouvrir des boîtes noires — par effraction, s'il le faut. Alors, face à un art de la guerre en temps de paix, nous pourrons regagner une prise sur la marche de nos sociétés. Alors, nous pourrons retrouver l'essence de nos démocraties, et peut-être réapprendre à faire de la politique.

WE DEMAIN : Covid-19 : top 10 des changements dans nos modes de vie

Covid-19 : 

top 10 des changements dans nos modes de vie

Par Armelle Oger / Illustrations : Lolmède 
Publié le 26 Mai 2020






La pandémie a bouleversé nos existences, instaurant certaines habitudes... en éjectant d’autres. Armelle Oger scrute nos quotidiens revisités. Pour combien de temps ?

1. Téléconsultation    
Une multiplication par 10. Début avril, les téléconsultations constituent plus de 11 % de l’ensemble des consultations selon l’Assurance maladie, 

contre moins de 1 % avant la crise. Et sur le site Doctolib, plus de 31 000 médecins la pratiquaient à la mi-avril, alors qu’ils étaient à peine 3 500 un mois plus tôt. Au total, 800 000 patients ont effectué leur première consultation vidéo depuis le début de l’épidémie. Et ce toutes spécialités confondues, avec un engouement particulier des psychiatres, psychologues et psychothérapeutes. 
 
2. Exode urbain
Dans la mouvance de la plateforme "Des bras pour ton assiette", mise en place pour prêter main-forte aux paysans lors des récoltes, les projets de "retour à la terre" se multiplient chez les citadins. Plus largement, explique le géographe américain Joel Kotkin, l’épidémie et le confinement pourraient entrainer une "contre-urbanisation" avec une fuite des grandes villes, devenues malsaines, vers la campagne ou les petites communes. 

3. Télétravail

Alors que la pratique peinait à s’imposer en France (entre 3 % et 15 % des actifs, selon qu’elle est pratiquée officiellement, avec un avenant au contrat de travail, ou informelle), elle a été adoptée par 40 % des Français pendant le confinement (selon l’Association nationale des DRH). L’essayer, c’est l’adopter, selon une étude CSA/Malakoff Humanis du 12 mars, qui fait état d’un taux de satisfaction de 82 % chez les télétravailleurs. Et ce n’est que le début : selon la même étude, 75 % des salariés et 65 % des dirigeants sont convaincus que le télétravail va être amené à se développer. 

4. Stress post-traumatique
Anxiété, trouble du sommeil, hypocondrie, peur des autres, tocs (comme se laver les mains sans arrêt) : ces conséquences du coronavirus pourront être ressenties des semaines, des mois, voire plus, estiment les psys. En hausse aussi, les problèmes de santé liés à des patho­logies non soignées ou non diagnostiquées : mi-avril, les consultations avaient baissé de 44 % chez les généralistes, et de 71 % chez les spécialistes, selon les données du site Doctolib. 

5. Care 
La valorisation des soignants, la solidarité vis-à-vis des plus vulnérables a révélé ce que le sociologue Serge Guérin nomme les "trésors du care", mêlant soin de soi et soin de l’autre. Avec comme implication, espérons-le, l’avènement d’une société reconnaissant la fragilité comme une donnée de notre condition d’humain, la solidarité et l’empathie comme de nouvelles valeurs citoyennes. Et une plus grande reconnaissance pour les 11 millions d’aidants qui s’occupent au quotidien d’une personne malade, handicapée ou dépendante. 

7. Réunionite
Vidéoconférence, réunions sur Zoom ou Slack : les entreprises ont intégré le concept, moins chronophage, des réunions à distance. Et beaucoup décident d’accélérer le mouvement. Ce recul du contact physique au travail touche même les notaires, incités par leur Conseil national à équiper leurs offices d’un système de signature dématérialisée et sécurisée.

8. Indifférence
Finie l’époque où certains semblaient ne pas voir le caissier, la femme de ménage, l’aide à domicile, le conducteur de bus ou le facteur ! Prochaine étape, la revalorisation de leur statut. 

9. Bruit de la ville
Selon Bruitparif, le confinement a généré une diminution de 90 % du bruit dans la capitale : un calme auquel les citadins se sont habitués, qui favorise la survie de


10. Vacances aux antipodes
Les voyagistes en sont persuadés : jusqu’à au moins 2022, les vacances des Français auront lieu le plus souvent en France et en version familiale, pour des raisons de sécurité, de civisme et d’écologie. 
 
 

mercredi 20 mai 2020

We Demain : Après le coronavirus, seriez-vous prêt à télétravailler à vie ?

Après le coronavirus, seriez-vous prêt à télétravailler à vie ?

Par Pauline Vallée I Publié le 20 Mai 2020


Le confinement et la crise sanitaire ont fait exploser le travail à distance. Au point que certaines entreprises envisagent désormais de proposer le télétravail à vie à leurs salariés. Mais si la pratique s'est généralisée, elle comporte encore de nombreuses failles.


Bientôt le télétravail à vie ? Les géants de la Silicon Valley réfléchissent à la question. (Crédit : Piqsels)

Un quart des Français ont effectué leurs tâches à distance pendant le confinement, selon le Ministère du Travail. Si le télétravail était déjà une tendance montante, l'épidémie de Covid-19 a accéléré sa généralisation. 


Dans les entreprises de plus de dix personnes, ce sont près de 4 salariés sur 10 qui ont télétravaillé en avril, dont la moitié pour la première fois. Même certains secteurs qui y paraissaient peu enclins, comme la médecine, ont dû, tant bien que mal, l'adopter.  


Ne télétravaille pas qui veut. La pratique concerne encore essentiellement les cadres, le secteur des services, et les personnes vivant en agglomération parisienne, pointe le sondage Odoxa-Adviso publié le 9 avril dernier. "Le Covid-19 a joué comme un facteur multiplicateur des inégalités face au travail”, appuie l’étude. “Alors que les cadres ont pu conserver leur travail et l’exercer confortablement en télétravail, les catégories populaires l’ont, soit perdu, soit se trouvent contraintes de l’exercer en présentiel." 


Malgré son instauration à marche forcée, l'expérience a séduit une majorité de salariés : 73 % indiquent vouloir continuer à travailler depuis chez eux après le confinement, de manière régulière (32 %) ou ponctuelle (41 %), rapporte une enquête menée par Malakoff Humanis. 


Certaines entreprises vont même plus loin. Les géants américains Facebook et Google ont ainsi annoncé que leurs salariés pourront continuer le télétravail jusqu’en 2021. Chez Twitter et Square, les employés sont même autorisés à exercer leur activité à domicile jusqu'à la fin de leur carrière ! 


“Les derniers mois ont prouvé que nous pouvons faire en sorte que cela fonctionne”, confirme la société sur son blog. "Si nos employés sont dans une situation qui leur permet de travailler à domicile, et qu'ils veulent continuer à le faire pour toujours, ce sera possible." Ceux qui préfèrent – ou doivent – travailler sur site seront autorisés à revenir en respectant les règles sanitaires. 



UN MODÈLE ENCORE IMPARFAIT

Ces signaux annoncent-ils l'extinction pure et simple du travail de bureau ? Pas si simple. Massivement adopté, devenu enfin une réalité pour de nombreux salariés, le travail à domicile s'est paradoxalement désacralisé. Résultat, il est moins bien perçu aujourd’hui (note de 7,9 sur 10) qu’il ne l’était fin 2019 (9 sur 10), révèle l’enquête Malakoff Humanis.  


Sa mise en place précipitée, à la mi-mars, n’a pas toujours permis aux structures d’accompagner leurs effectifs, en particulier ceux qui ne l’avaient jamais pratiqué. Un manque de préparation qui se ressent dans les chiffres : plus d’une personne interrogée sur quatre ne disposait pas d’un espace de travail adapté, et près de la moitié aurait été confrontée à des difficultés techniques.  


En dépit d’un gain de temps et d’une flexibilité accrue, ce mode d’organisation souligne en creux l’importance du lien social, et de la présence physique, pour garantir le bien-être en entreprise. Dans une série de témoignages publiés sur Bastamag, des salariés en télétravail racontent leur solitude, l'épuisement face à une charge de travail parfois accrue, et le sentiment d'une perte de sens.  

  

"Je dirais que, pendant trois semaines, j’ai dû faire 55 heures par semaine, peut-être plus. À un moment, j’ai arrêté de compter. Quand je me réveillais la nuit, j’avais mon ordi à côté de moi et je triais mes mails. Je me suis sentie en burn-out chez moi, ce qui est quand même paradoxal", confie Joëlle, juriste en droit social. 

lundi 18 mai 2020

« Comment réparer l’irréparable », par Thierry Marx

 
Thierry Marx
Thierry Marx @Medef


Le célèbre chef, très engagé pour réduire la fracture sociale, propose de construire l’avenir en créant un véritable fonds de transition à impact social et environnemental.

Par Thierry Marx
Publié le 17 mai 2020 
Nouvel Obs

Des milliards d’individus, confinés, infantilisés, netflixisés. Un monde qui s’arrête comme une locomotive entre deux gares. Personne ne descend. Derrière les vitres, les informations sont en blouses blanches, souvent loin de nos vies entre parenthèses. Et il va falloir que le train reparte. Mais pour aller où ?

La crise que nous traversons dans sa soudaineté, dans nos privations de libertés et dans notre sidération, nous rassemble. Elle nous permet de « faire peuple ». Un peuple qui vit un de ces très rares moments où il peut décider de son avenir. La crise qui nous frappe de plein fouet est sanitaire aujourd’hui, hier elle était économique, sociale et demain, si nous ne changeons rien, elle sera climatique.

En finir avec le« tout, tout de suite »

Ces crises sont violentes. La seule façon d’y survivre est de nous montrer agiles et prévoyants. Nous devons réfléchir à notre future liberté. Nous déconfiner aussi d’une économie qui était celle du « tout, tout de suite », des rendements immédiats, de la course aux résultats souvent au mépris du bon sens, au mépris de l’environnement et du sort des individus.
N’entrons pas dans le monde de demain uniquement alourdis de nouvelles dettes. Dettes que nos enfants devront payer. Le temps nous est compté avant que la récession n’aggrave encore plus les inégalités. Nous devons mettre en route vers l’économie de la transition, une économie de la raison et du temps long, une économie du respect de notre capital, la nature et le vivant. Aucun système ne sera soutenable s’il construit ses profits sur la destruction ou la surexploitation de la nature. Comme le dit avec force mon ami Gilles Bœuf :
“« Nous devons cesser notre imprévoyance, notre arrogance et notre cupidité. »
Je vis de ma passion : cuisiner. J’ai appris mon métier à l’école de grands Chefs qui m’ont transmis, leur savoir, leur maîtrise du geste, du temps, du feu… Ils m’ont appris l’essentiel et m’ont donné une chance. Je travaille avec des entreprises souvent fondées par des jeunes qui ont une nouvelle approche de l’environnement et de l’économie. Je crois en leur modèle. Et c’est à eux qu’il faut aujourd’hui donner une chance.
Il ne s’agit pas du « monde d’après » mais de celui de maintenant. Nous devons aider tous ceux qui souhaitent offrir un autre modèle. Un système économique qui cumule des valeurs de croissance raisonnée, de patience et de respect des ressources naturelles. Ce modèle doit être performant et se montrer capable de générer des profits. Ceux-ci sont indispensables. Des profits distribués de manière beaucoup plus équitable.

Créer un fonds de transition

La société a un besoin urgent de ce signal. Nous devons profiter de cette crise pour nous réinventer et financer les acteurs de cette transition. Nous appelons donc à la création d’un fonds de transition. Pour bâtir le monde d’après. Un fonds géant, à la hauteur de l’enjeu, financé par le privé, géré par le privé, et abondé par l’état. Un euro « public » pour chaque euro « privé ».
Ce fonds servira à financer nos PME, nos artisans, nos commerçants et tous ceux qui ont été mis à mal et qui souffrent de difficultés d’adaptation. Il faudra les doter des outils nécessaires pour assurer leur avenir. Ce fonds financera aussi les acteurs de nos territoires, ferments du renouveau des villes moyennes et des communes rurales. La ruralité et les relocalisations sont essentielles. Elles sont gages de notre indépendance et de nos choix de vie. Il devra mettre le digital et les nouvelles technologies au service de nos vies et de notre épanouissement. Une croissance raisonnée qui alimentera et redonnera l’envie d’un destin partagé. C’est essentiel pour réconcilier profit, temps, création de richesses et enfin remettre l’homme au centre de nos actions.

Pourquoi attendre ?

Ce choix, nous le pensons courageux, réaliste, porteur d’avenir. Tout simplement parce qu’il préservera la vie économique et sociale des entreprises, associations, ONG… qui s’engageront sur un modèle de gestion différent. Cette ambition n’est pas magique. Bénéficier de ce fonds demandera des engagements forts. Nous devrons fixer des critères stricts et mesurables, fondements d’une nouvelle approche économique que nous devrons mener collectivement : assureurs, grands groupes, banquiers et l’Etat, bien entendu.
Ce fond doit être lancé le plus rapidement possible. Le modèle est connu, l’ambition évidente et la direction claire. Nous avons l’expérience, les acteurs, le savoir-faire et la vision. « Time is money » répétait Benjamin Franklin. Dans cette période d’orage économique, reprenons la phrase de celui qui a su capter la foudre : « Le temps c’est de l’argent ».
Alors, pourquoi attendre ?

Julia de Funès: «La bibliothèque, lieu emblématique du confinement»


FIGAROVOX/TRIBUNE - 

En ces temps de pandémie, la bibliothèque est perçue comme un refuge contre le désordre du monde extérieur, estime la philosophe Julia de Funès. Notre amour des bibliothèques témoigne par ailleurs d’un esprit littéraire français selon elle aux antipodes de l’égalitarisme démocratique américain.


Par Julia de Funès 
Publié le 15 mai 2020 


Capture d'écran Twitter



Julia de Funès est philosophe. Elle a récemment publié Le développement (imp)personnel: le succès d’une imposture (éd. de l’observatoire, 2019).

Que l’intervenant soit médecin, comédien, danseur, chanteur, politique, tous se filment devant…une bibliothèque. Le statut d’usage, l’objet de rangement qu’est ce meuble, a été troqué pour celui de fond d’écran. Le meuble de fonction est devenu décoration. L’intellectualisme, pourtant dévalué dans notre pays idéologiquement égalitariste, est soudainement affiché sans vergogne. À croire que les biblioposeurs oublient qu’en France (pays qui se défend pourtant des amalgames) l’intellectuel est vite assimilé au bourgeois, regardant de haut le prolétaire ancré dans la réalité, les pieds sur la terre solide du bon sens et non des bons mots. Certains acteurs, chanteurs, politiques, si démagogiquement «près du peuple» en temps ordinaires, et si intellos le temps d’une interview bibliothéquée, apparaissent étrangement décomplexés à l’idée d’appartenir aux premiers de la classe (sociale). La période épidémique actuelle, particulièrement attachée au savoir, à la science, aux savants, aux chercheurs les autorise sans doute à s’en rapprocher. C’est une victoire temporaire de l’esprit, de l’idée, de la distinction littéraire, un petit tacle de PSG-des-près sur la ruralité.

La bibliothèque protège du désordre extérieur et du mauvais goût intérieur.

Mais de quelles intentions cette décoration est-elle le signe?

Comme la présence réconfortante d’un parent, ce meuble porteur d’autorité et de mémoire, signe de maturité culturelle, rassure au cas où une bêtise serait proférée: «Je peux radoter des crétineries, je suis tout de même cultivé, regardez derrière moi», prévient l’image. Alibi en cas d’ignorance, couverture en cas d’idiotie, ce meuble protège également du désordre extérieur et du mauvais goût intérieur. Sa beauté ne dépend aucunement du sens esthétique de son propriétaire. Les livres sont de beaux objets de toujours, contrairement aux bibelots ornementaux ou fantaisies décoratives pouvant toujours trahir la faute de goût fatale. Deux styles de bibliothèques se distinguent néanmoins. D’un côté, la bibliothèque confinée au teint cadavérique, dont seul l’interview filmée semble procurer un semblant de vie posthume. Le plaisir du toucher éteint depuis longtemps, le traditionnel bois chaud et tendre laisse place au mélaminé blanc clinique, droit et raide. Les livres y terminent leur vie définitivement rangés comme les croix blanches d’un cimetière militaire. De l’autre, le style déconfiné, au trop-plein non masqué, aux ouvrages touchés, entassés, mais encore vivants. Ordonnée ou désordonnée, la bibliothèque reste cet espace de rangement, de maîtrise, de ce sur quoi nous pouvons agir: les idées et les représentations, par opposition à la fatalité imprévisible et désordonnée des faits qui nous échappent.

Outre-Atlantique les nourritures terrestres l’emportent sur les nourritures spirituelles.

Si l’on pose devant sa bibliothèque comme on pose devant un monument, c’est aussi parce qu’elle est un signe patriotique. En Asie on ne filme pas les intérieurs, l’intimité y semble proscrite, les gens témoignent de la rue et masqués. Aux États-Unis, les citoyens comparaissent non pas devant de vieux arsenaux cognitifs comme les nôtres, mais au milieu d’ustensiles de cuisine, de cookies, de pancakes, signes de la victoire de l’utilitaire, de la nécessité, du vital, du besoin. À croire qu’outre-Atlantique les nourritures terrestres l’emportent sur les nourritures spirituelles, la nature sur la culture, la matérialité sur la cérébralité, l’éphémère sur l’éternel. La cuisine symbolise la vie domestique commune, autrement dit le triomphe de l’égalitarisme démocratique américain.

Nous ne sommes plus une patrie qui lit mais qui cherche à montrer qu’elle a lu.

Les images de livres ont distingué notre pays. Alors que la lecture n’est pas la chose de France la mieux partagée, la bibliothèque l’est devenue! Le contenant a remplacé le contenu, on parle moins des livres que les livres ne parlent de nous. Nous ne sommes plus une patrie qui lit mais qui cherche à montrer qu’elle a lu. Faut-il y voir le chant du «signe» de notre héritage littéraire?

mercredi 13 mai 2020

EMMANUELLE DUEZ : "L'entreprise doit être plus fraternelle pour surmonter les crises"



Emmanuelle Duez : "L’entreprise doit être plus fraternelle pour surmonter les crises"

Par Alice Pouyat I Publié le 1 Mai 2020
WE DEMAIN

Et si nous profitions de la crise du COVID-19 pour réinventer demain ? Dans ce 6e épisode de notre podcast "Les Jours d'Après", Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project, "cabinet de conseil d'entreprises humanistes", appelle à des relations de travail "plus fraternelles" pour résister aux crises.

Comment bien présenter sur Zoom


NOS CONSEILS - Positionner son ordinateur, adapter son maquillage, optimiser son look… Nos conseils pour être à l’aise dans les réunions en visioconférence et s’imposer à l’écran.
Par Hélène Guillaume, Matthieu Morge Zucconi, Emilie Faure, Elodie Baërd, Judikael Hirel, Pauline Castellani et Marie-Gabrielle Graffin
Publié le 11 avril 2020 à 13:01, mis à jour hier à 14:13 - LE FIGARO

Amy Poehler dans Parks and Recreation; Mathieu Amalric dans Le Bureau des légendes ; Jon Hamm dans Mad Men ; Steve Carell dans The Office. Collage Madeleine Voisin Madeleine Voisin


Si les services de visioconférence du type Zoom se sont révélés d’excellentes solutions de dépannage (tolérant durant le confinement les usages approximatifs), ils s’imposent dorénavant comme des outils de travail qu’il convient de maîtriser. «D’autant que dans la plupart des entreprises, l’utilisation de l’option caméra est devenue la norme, indique Émilie Cêtre, «talent brand manager» de la start-up française tech, Dataiku. Jusqu’ici, nous avons tous été dans une forme de bienveillance vis-à-vis d’un collaborateur plus négligé qu’à l’ordinaire ou ne sachant pas complètement maîtriser l’outil. Après quelques semaines de prise en main, il s’agit de l’exploiter au mieux, en particulier pour l’animateur d’une réunion. Il y a des bonnes pratiques à diffuser et certains détails ont leur importance. Apparaître en contre-jour ou être mal cadré, c’est s’exposer à une perte d’attention des participants. La question du ‘fond’ se pose également, il faut trouver l’équilibre entre un décor trop neutre et un trop intime. Certains choisissent la bibliothèque - un classique qu’on voit notamment beaucoup à la télé quand des experts sont interviewés. D’autres utilisent les faux fonds proposés par Zoom. Ou même téléchargent une photo de leur vrai bureau!»
On ne reviendra pas sur la nécessité d’une bonne connexion - il est toujours plus facile d’avoir l’air crédible si l’on n’apparaît à ses collègues ni pixélisé, ni «figé» par une faiblesse de Wi-Fi (sans parler du problème moins technologique mais tout aussi délicat de l’enfant surgissant à l’écran). Mais il est des paramètres que l’on peut gérer avec quelques astuces et du bon sens, comme positionner avantageusement son ordinateur portable, trouver la luminosité adéquate, ajuster son fond de teint, choisir un col de chemise, se coiffer pour porter un casque, etc. Une bonne maîtrise reflétera votre capacité à vous adapter à ces nouveaux moyens de communication.

Se préparer 10 minutes avant
La clé de la réussite? Ne rien improviser. Donnez-vous une dizaine de minutes pour optimiser votre apparence, avant le début d’une réunion. Première chose, l’éclairage. Mettez votre smartphone en caméra inversée et promenez-vous dans votre intérieur, à la recherche de la meilleure source de lumière. Pour éviter les ombres sur le visage, elle ne doit venir ni du haut, ni de derrière, ni des côtés. Le plus flatteur? Être face à une fenêtre, mais pas trop proche. Pas de fenêtre? Allumez une lampe, placée derrière votre écran. Installez votre ordinateur légèrement plus haut que votre buste - jamais en dessous - en l’élevant, par exemple, sur une pile de livres. Centrez l’objectif. Ainsi, vous devrez tendre le visage pour regarder la caméra, effet lifting apprécié. Trop proche de l’écran, vous paraîtrez déformé. Assurez-vous que votre environnement soit bien rangé et épuré afin de ne pas risquer de distraire vos interlocuteurs (évitez les fonds humoristiques disponibles au téléchargement). Prêt? Connectez-vous et démarrez une réunion (fictive) pour une ultime vérification. Un filtre «touch up» existe sur Zoom, il permet d’unifier le teint. Il suffit de se rendre dans «paramètres de réunion» puis «retoucher mon apparence». Envie d’ajouter des oreilles de lapin ou un chat dans le décor? Les filtres Snapchat sont compatibles avec Zoom. À vos risques et périls.

Hausser le col
Si la visioconférence ne nécessite pas de porter blazer et cravate, elle exige un minimum d’élégance. Plutôt qu’un vieux tee-shirt, privilégiez une pièce à col, telle une chemise en oxford dans une couleur neutre - bleu ciel, blanc ou rose pâle. Confortable (elle était à l’origine destinée à la pratique du polo), elle est suffisamment habillée pour une réunion. Par-dessus, adoptez le cardigan: moins formel qu’un blazer, il signe une tenue tout en demeurant suffisamment décontracté pour le reste de la journée. Bien entendu, vous devrez porter un pantalon, même si le cadrage de la caméra se concentre sur le haut du corps. Will Reeve, reporter américain de Good Morning America sur la chaîne ABC, a récemment cru bon de ne pas en porter lors d’une intervention, avant qu’un mouvement fasse entrer dans le cadre sa jambe nue. Pour éviter semblable mésaventure, choisissez un pantalon confortable. Votre jean favori ou un chino en coton feront l’affaire.
Dans le cas d’un entretien d’embauche, les codes demeurent les mêmes que dans celui d’une rencontre physique. «La différence avec un entretien classique, c’est que l’on laisse entrer le potentiel futur employeur dans son intimité. Mieux vaut ne pas trop en faire: une chemise unie claire et une veste sont de bons choix», assure Léo Primard, responsable marketing du cabinet de recrutement Ignition Program, spécialisé dans les start-up.

S’exprimer par sa montre
De nos jours, porter une montre ne sert à rien (ou presque) puisque n’importe quel smartphone vous donnera l’heure avec une précision bien plus élevée. Il n’empêche qu’à l’instar d’un bijou, elle constitue un choix personnel, délivre un message que vous faites passer en attirant, mine de rien, l’attention de votre interlocuteur sur votre poignet.
Mais quel message? Attention à arborer un modèle trop onéreux en réunion qui trahirait un certain train de vie. Une montre vintage stylée, qu’elle soit des années 1960, 1970 ou 1980, se révèle, en revanche, un signe extérieur de personnalité, laissant subodorer votre sens du détail. Il est aussi intéressant d’afficher une montre connectée, à l’aura moderne et sportive. Avec au poignet une Apple Watch ou une smart watch orientée course et outdoor, vous voilà directement classé dans la case des collègues dynamiques!



Le créateur Tom Ford conseille, lui aussi, dans New York Times,
de placer une lampe derrière l’écran.
New York TimesAjouter une légende


Ne pas s’arracher les cheveux
Qui n’a pas encore fait la douloureuse expérience de coincer ses cheveux dans son casque? Ou de tenter de cacher ses racines grâce aux effets d’une lampe de bureau? «Le casque doit être positionné comme un serre-tête qui ne tirera pas trop devant et ne bombera pas trop derrière, conseille le coiffeur, David Mallett. Préférez chignon et queue-de-cheval mi-haut ou bas. Les frisottis créent des ombres peu flatteuses: ajustez-les devant un miroir avant de faire face à l’appareil. Pour les plus isolées qui n’auraient pu se procurer des bombes de retouches en supermarché ou en pharmacie, maquillez vos racines à l’aide d’un coton-tige imbibé d’eau, trempé dans du fard à paupières. Sinon, coiffez vos mèches en avant et inclinez légèrement votre écran vers le bas. Quant à la brillance de vos cheveux ternis par l’enfermement (et les masques mal rincés), je vous livre un secret: pendant la nuit, mettez au frais une bouteille d’eau mélangée à du vinaigre de cidre de pomme et rincez la chevelure à l’aide de ce liquide glacé (il va rétrécir l’écaille). Puis séchez à l’air libre et si possible, appliquez une fine couche d’un sérum sur les longueurs.»

Ajuster son maquillage
«L’écran a tendance à contraster les couleurs, prévient Terry de Gunzburg, fondatrice de by Terry. Exit donc les effets de contouring, les fards saturés de pigments, les maquillages trop appuyés, d’autant qu’il est peu conseillé de ressembler à une gravure de mode derrière l’ordinateur. On mise davantage sur une peau souple et éclatante que sur le camouflage.» Suffiront donc une surdose d’hydratation pour le glow, un anticernes chargé d’effacer les traces de fatigue, une crème teintée à effet bonne mine qui rehausse les teints privés de lumière naturelle depuis le 16 mars. «Pour apporter du relief au visage, on se concentre sur les détails que lit le plus facilement la caméra: des sourcils dessinés, des cils densifiés surtout derrière des lunettes, une bouche repulpée au baume coloré - pas de mat qui risque d’aplatir le relief -, un blush liquide à effet frais et sans démarcation.»

mardi 12 mai 2020

WE DEMAIN : À quoi ressemblera la ville post-coronavirus ?

À quoi ressemblera la ville post-coronavirus ? 
Par Pauline Vallée I Publié le 12 Mai 2020
WE DEMAIN

La pandémie du Covid-19 va façonner les villes sur le long terme. De l’avènement de la surveillance à l’explosion du vélo, certains de ces changements sont déjà visibles. 




       Moins peuplée, sans voiture, plus naturelle ou truffée de caméras de surveillance : de quelle ville voulons-nous désormais ? (Crédit : Needpix)      




L’épidémie de coronavirus a profondément modifié la façon dont nous nous déplaçons et travaillons, mais aussi notre rapport à l’espace urbain. Nous avons vu nos villes se vider d’une partie de leurs habitants et des voitures, pour mieux accueillir le retour de la faune sauvage, les files d’attente devant les magasins, et le bruit, tous les soirs à 20h, des applaudissements adressés au personnel soignant. 

Le déconfinement sera-t-il synonyme de retour à la normale ? L’impératif de distanciation sociale, et le souvenir de la pandémie, risquent au contraire de transformer les métropoles sur le long terme. Et certains de ces changements sont déjà à l'oeuvre. 


Avec ou sans voiture ? 
En mettant les flux de population à l’arrêt, le confinement nous a montré à quoi pouvait ressembler une ville sans voiture. Un gain en silence, en sécurité, mais aussi en qualité de l’air : sur le mois d’avril, le taux de dioxyde d’azote a chuté de 40 % et celui de particules fines de 10 % en moyenne en Europe, évitant 11 000 décès prématurés. 

Le 11 mai pourrait voir la tendance repartir en sens inverse. Une recrudescence de la voiture individuelle, dopée par la peur de prendre les transports en commun bondés et la baisse du prix du pétrole. 

Pour éviter cela, de grandes villes se tournent vers une troisième voie : le vélo. Moins encombrant, ce mode de transport permet de respecter la distanciation sociale sans générer de pollution.  

La capitale colombienne Bogotá a ainsi mis en place, en une nuit, une centaine de kilomètres de "coronapistes", des pistes cyclables d’urgence. En Italie, Milan prévoit de transformer 35 km de rues, en élargissant les trottoirs et créant de nouveaux couloirs à vélo. Londres, Vienne, Mexico ou encore New York suivent un chemin similaire. 

En France, comme nous l’écrivions mi-avril, plusieurs villes réfléchissent à de nouveaux aménagements cyclables pour accompagner le déconfinement.  

La priorité est aussi donnée aux piétons. Pour ce faire, les autorités peuvent restreindre la place réservée à la voiture, en supprimant, par exemple, des places de stationnement, ou en ouvrant des “slow streets”, à l’instar des villes américaines d’Oakland et San Francisco. 



La fin de la grande ville ?
La ville favorise-t-elle l’épidémie ? Pour le président de l’Union Nationale des Aménageurs (Unam), interrogé par Les Echos, la réponse est claire : "l'hyperdensité est un vecteur de contamination". Le coronavirus a réactivé la vieille idée selon laquelle la ville est dangereuse pour la santé. Ce n’est donc pas un hasard si les recherches immobilières se concentrent, depuis le début de la crise, sur les maisons dans les villes moyennes de 50 000 habitants. Exit le fantasme de l’appartement en plein centre-ville.  
  

À lire aussi : L'épidémie va-t-elle provoquer un exode des citadins vers la campagne ? 


L’essor du télétravail, rendu possible grâce au développement des outils numériques, fait que la proximité avec le lieu de travail pourrait ne plus être un facteur décisif pour décider de son lieu de vie. On peut imaginer un nouveau modèle de répartition des populations, entre mégapoles concentrant entreprises, loisirs, offres scolaires et culturelles, et villes à taille humaine. Loin d'être de simples cités-dortoirs, ces dernières devront accueillir les habitations, mais aussi des ateliers, usines et commerces.  

“En ce moment, nous réduisons la densité partout où cela est possible, et c’est une bonne chose”, note le sociologue américain Richard Sennett, auteur de Bâtir et habiter, dans un article du Guardian. 

Avant de nuancer : “La densité est aussi une bonne chose : les villes denses sont plus efficientes sur le plan énergétique. Je pense qu’à long terme, il y aura un conflit entre les attentes en terme de santé publique et celles sur le climat.” 



Le retour de la vie de village ?
Et si, en limitant nos possibilités de déplacement, la crise avait permis le retour d’une vie de quartier ? Cet immobilisme forcé nous amène à relocaliser notre consommation et notre sociabilité. Les Français ont ainsi été nombreux à se tourner vers les circuits courts pour s’approvisionner en produits locaux. 

Les dernières semaines, écrit le géographe Luc Gwiazdzinski dans Le Monde, “[amènent] naturellement à réfléchir à la nécessité de ramener certains commerces et services publics dans les quartiers” et “réinventer une organisation de la ville, pour qu’elle favorise la proximité et une mobilité raisonnée, avec une palette de services de base à l’échelle des quartiers”. 

Un voeu qui résonne avec le concept de la “ville du quart d’heure” théorisé par l’urbaniste Carlos Moreno. La ville se conçoit alors comme une agglomération de petits villages, au sein desquels chacun peut accéder à six fonctions urbaines (habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, apprendre, se divertir) en seulement 15 minutes de marche ou de vélo.


Repenser l'espace urbain
Oiseaux, renards, sangliers… Le retour de la nature sauvage dans les rues n’a souligné qu’avec plus de force son exclusion ordinaire de l’espace urbain. Se pose la question de la place que nous pourrons lui accorder à l’avenir. L’architecte Alexandre Chemetoff plaide ainsi, dans Télérama, pour une ville “accueillante pour la faune et la flore” mais aussi “agréable aux humains qui la peuplent et se retrouvent actuellement confrontés à des logements trop petits, des rues étouffantes, un horizon bouché”. 
 

Les infrastructures publiques, en particulier les toilettes, doivent également être repensées à l’aune des nouvelles exigences en matière d’hygiène. Ces lieux doivent être accessibles, propres, et permettre de se laver les mains sans risque de contamination. “L’heure est venue de repenser plusieurs choses, et les toilettes en font partie” appuie le professeur en maladies infectieuses Peter Collison dans le Guardian. Une solution serait, selon lui, de miser sur les détecteurs de présence pour éviter d’avoir à toucher les loquets et robinets. 

Le mobilier urbain n’est pas en reste. Mieux adapté, il pourrait aider à lutter contre les maladies. On peut ainsi se fournir facilement en masques jetables (pour environ 2 euros) et gel hydroalcoolique (entre 1 et 3 euros) à Varsovie, en Pologne, grâce aux distributeurs installés dans les rues. À l'aéroport international de Hong-Kong, les voyageurs peuvent passer par une cabine de décontamination, actuellement en phase de test, pour une désinfection expresse. En verra-t-on bientôt de semblable apparaître dans l’espace public français ?


La place du tourisme
Le 9 mars, Venise s’est tue. Ses habitants ont redécouvert, ravis, leur ville préservée de la foule et du bruit. Et en ont profité pour imposer un “non” définitif au tourisme de masse. Les voyageurs ne seront, de toute façon, pas de retour avant un bon moment - suspension du trafic aérien oblige. 

Quota de visiteurs quotidiens, restriction des bateaux à moteur les plus polluants, retour des classes moyennes dans la ville historique… Les propositions abondent pour instaurer un tourisme plus intelligent et respectueux de l’environnement. 

La France n’y échappera pas : un dispositif de caméras a été déployé dès ce lundi dans la station de métro parisienne Châtelet-Les-Halles, afin de quantifier le nombre de voyageurs portant le masque réglementaire. 

Des drones déployés depuis le 15 mars par la Police Nationale en divers points du territoire (Paris, Nice, Ajaccio...), servant à interpeller les personnes ne respectant pas le confinement, ont également suscité la controverse. La Ligue des droits de l'Homme et la Quadrature du Net ont déposé un référé début mai devant le tribunal administratif de Paris, afin de demander la suppression immédiate du dispositif.



vendredi 8 mai 2020

FIGARO : QUAND LES GRANDS ECRIVAINS TIRENT PROFIT DE LA RECLUSION

FIGAROVOX/TRIBUNE - Le confinement peut favoriser le déploiement de l’imagination et de la création, rappelle Marina Yaloyan. De Pouchkine à Soljenitsyne, en passant par Boccace et Shakespeare, des géants de la littérature ont trouvé l’inspiration dans la solitude forcée et ont créé alors des chefs-d’œuvre.

Par Marina Yaloyan

Publié hier à 16:36, mis à jour hier à 16:36


Marina Yaloyan est directrice des Affaires internationales pour le Journal du Parlement et professeur de communication à l’ISC Paris.

Le confinement du grand écrivain russe Pouchkine dans son domaine de Boldino, près de Nijni Novgorod,
fut l’occasion d’une des périodes les fécondes de sa vie.
 Wikimedia Commons – CC


À l’heure où les travées du Parlement sont quasiment désertées, où la Bibliothèque du Palais du Luxembourg semble assoupie, où les librairies et les bouquinistes sur les quais printaniers sont fermés, on ne peut s’empêcher de penser à Montherlant, qui professait «trouver la liberté au milieu de la contrainte».

Imaginons, en cette période de confinement, la ronde des auteurs, connus pour beaucoup, oubliés pour certains, sortis de la poussière pour d’autres qui, tous, à un moment de leur œuvre ou de leur vie, ont été amenés à écrire ou à traverser eux-mêmes ce que nous vivons aujourd’hui. De Diderot à Camus, de Pouchkine à Soljenitsyne, de Boccace à Shakespeare, ils ont su s’inspirer de cette solitude, cette parenthèse, cette coupure dans le temps, ce vide à la fois porteur d’espoir et capable de faire naître, peut-être, un sens nouveau.

Dans « Voyage autour de ma chambre », Xavier de Maistre raconte son expérience de 42 jours aux arrêts pour un duel.

Comme Xavier de Maistre, pour qui le confinement devient un synonyme de découverte de soi et de son environnement. Dans le livre autobiographique devenu en quelque sorte un best-seller du XIXesiècle, Voyage autour de ma chambre, il raconte son expérience de 42 jours aux arrêts pour un duel en tant que jeune militaire. Avec une douce ironie, il s’amuse à redessiner les objets du quotidien. Un lit devient alors «un berceau garni de fleurs», «un trône de l’amour» ou encore «un sépulcre». Malgré l’environnement exigu, il conserve toute spontanéité de mouvement, ainsi que le goût de la découverte: «(…) lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite. Je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là, je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant, mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façon et je m’y arrange tout de suite(...)». En même temps qu’il se lance dans la méditation, son imagination déborde et son esprit vogue sans entrave. L’isolement lui permet d’éviter toute distraction extérieure et devient une source profonde d’inspiration.

La parenthèse créée par l’épidémie a donné à Shakespeare le temps, enfin, de se consacrer entièrement à l’écriture.

Shakespeare aurait-il écrit Le Roi Lear si les épisodes à répétition de la peste bubonique n’avaient pas ravagé Londres entre 1601 et 1606? La plupart des théâtres, dont le Globe, où ses pièces rassemblaient les foules enthousiastes, étaient fermés par les autorités londoniennes qui craignaient la propagation de la maladie. Pendant que sa troupe continue ses tournées dans les provinces où les nouvelles de la peste ne sont pas encore arrivées, le dramaturge, enfermé chez lui, se lance alors dans une remarquable séquence d’écriture. Entre 1605 et 1606, il crée ses œuvres majeures, tels Le Roi Lear, Macbeth et Antoine et Cléopâtre. Cette période est considérée comme «la plus belle efflorescence du pouvoir créatif dans la carrière de Shakespeare», selon l’écrivain J. Leeds Barrow. Tandis que le professeur de l’Université de Columbia James Shapiro estime que la parenthèse créée par l’épidémie a donné à Shakespeare le temps, enfin, de se consacrer entièrement à l’écriture au lieu de diriger et de poursuivre les affaires de son théâtre. «Cela signifiait que ses jours étaient libres, pour la première fois depuis le début des années 1590», dit-il.

Dans le Décaméron, les nouvelles deviennent un véritable symbole de la résistance humaine au fléau de la peste.

L’histoire du Décaméron, l’œuvre symbolique de la Renaissance est, elle aussi, le fruit d’une épidémie de peste noire en 1348 lorsque cette dernière s’empare des deux tiers de la population de Florence. Dans l’introduction, Boccace décrit de manière saisissante les ravages effroyables de la maladie qui lui ont fait perdre tour à tour son père, puis sa fille et qui ont enlevé à son ami Pétrarque sa muse Laura: «Combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux, que non seulement n’importe qui, mais Galien, Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis, et le soir venu soupèrent en l’autre monde avec leurs trépassés?»

À cette époque, on savait déjà qu’il était possible d’échapper à la contagion par l’isolement. Dans le Décaméron, sept jeunes femmes et trois jeunes gens se rencontrant par hasard dans une église prennent la décision de fuir l’épidémie. Ils se confinent à trois kilomètres de Florence dans une villa idyllique à la campagne où, pendant dix jours, chacun doit raconter aux autres une histoire romantique. Ces histoires prennent alors la forme de cent nouvelles qui, en cette époque obscure, deviennent un véritable symbole de la résistance humaine au fléau, une ode à la joie de vivre, à l’amour et à l’espoir.

Dans l’impossibilité de retourner à Saint-Petersbourg, Pouchkine se met au travail.

Plus rapproché de nos jours, ou plus précisément il y a 190 ans, Alexandre Pouchkine a été contraint de «se barricader» dans son domaine de Boldino, à côté de Nijni Novgorod: il y arrive pour régler des affaires financières en vue de son mariage avec Nathalia Goncharova. Mais la Russie est alors frappée par une grave épidémie de choléra. Moscou et Saint-Pétersbourg se mettent en quarantaine. Dans l’impossibilité de retourner dans la capitale, de fréquenter les bals et de visiter les salons, Pouchkine se met au travail. La période de «l’Automne de Boldino» est, in fine, l’une des plus productives de sa carrière. La poésie de l’automne à la campagne, le déclin majestueux et nostalgique de la nature l’inspirent. C’est à cette quarantaine que nous devons la création des Contes de Belkin, des Petites tragédies, des Contes folkloriques, des deux derniers chapitres d’Eugène Onéguine, ainsi qu’une trentaine de poèmes.

La réclusion est-elle finalement une chance, une invitation au voyage imaginaire, un espoir pour ceux qui savent s’en servir? Comme Anne Franck, pour qui, à 13 ans, l’écriture de son Journal Intime devient la seule échappatoire à la réalité sordide qui l’entoure? Ou Soljenitsyne, qui, à la suite de huit années passées derrière les barreaux des prisons staliniennes, envisage la création de L’Archipel du Goulag - ce symbole de la liberté de l’esprit de l’homme? Ou bien encore Camus qui esquisse, avec un réalisme brillant le quotidien indolent des habitants de la ville d’Oran, isolée du reste du monde et ravagée par la peste

Il y a aussi Georges Sand, qui, depuis les hauteurs de sa cellule choisie de la Chartreuse de Valldemossa, travaille sur son roman autobiographique L’hiver à Majorque. Sans oublier, bien sûr, Marcel Achard, que Charles Dullin, le directeur du Théâtre de l’Atelier, enferme à clé dans sa chambre pour qu’il arrête de se distraire et termine enfin sa pièce! Pour se venger de son emprisonnement, l’écrivain sort alors ses actes en désordre au grand désarroi des comédiens…

Et si, sans contrainte, la véritable liberté cessait finalement d’exister ?

Le confinement physique peut ainsi faire voyager l’âme au point que, de temps à autre, on déplore la remise en liberté. Les cafés et les boutiques se repeuplent. La routine revient. Le monde extérieur nous accueille et nous envahit. Comme Xavier de Maistre, encore lui, écrivait avant d’être libéré de son incarcération: «Ils m’ont défendu de parcourir une ville, un point ; mais ils m’ont laissé l’univers entier: l’immensité et l’éternité sont à mes ordres. C’est aujourd’hui donc que je suis libre ou plutôt, que je vais rentrer dans les fers.»

Et si, sans contrainte, la véritable liberté cessait finalement d’exister?


Delphine Buisson : le regard intérieur des dirigeants





On associe très souvent la vision du leadership à celle qui s’ouvre sur le monde, sur l’innovation, … mais on porte moins d’attention à celle du regard intérieur du dirigeant, du DRH …La période incroyable du confinement doit être celle de l’introspection :  Qui sommes-nous vraiment ? Où en sommes-nous du point de vue de la maturité en terme de management, d’organisation du travail … de relations humaines. Ce regard intérieur nous offre cette capacité de faire jaillir l’intelligence collective d’une équipe…. Et pouvoir, juste par une observation, préparer la suite !

Delphine Buisson est une conférencière renommée qui est à la base du concept de "Life Running", concept qui compare la course à pied à la vie d’un chef d’entreprise. Ses conférences sont  spécialisées sur les thèmes de la motivation et du leadership.



vendredi 1 mai 2020

Sylvain Tesson nous plonge dans la Pitié-Salpêtrière

Par Vincy Thomas, le 28.04.2020 à 13h54 (mis à jour le 28.04.2020 à 14h00)
CORONAVIRUS

Sylvain Tesson nous plonge dans la Pitié-Salpêtrière


L'écrivain raconte dans Le Monde son immersion dans l'un des plus grands hôpitaux européens, en pleine crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19.


Sylvain Tesson, prix Renaudot pour  La panthère des neiges (Gallimard) en novembre dernier, a écrit un long récit pour Le Monde, récit de son immersion dans les coulisses de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.


La Pitié-Salpétrière
Dans ce texte, « Avec les invisibles de la Pitié-Salpêtrière », l’écrivain commence sa visite par les jardins de cet espace grand comme 22 Stades de France. « A la Pitié (1 500 lits en temps normal), les 10 000 employés de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) exercent des métiers insoupçonnés. Tous ont été requis pour « armer des lits Covid ». Tous ne sont pas capables d’intuber un mourant. Mais tous se considèrent comme un « maillon de la chaîne du soin ». L’électricien, la lingère, le cadre administratif, la standardiste, le technicien d’équipement biomédical, l’agent de sécurité, la manipulatrice radiologique… forment une troupe dont les éléments disparates et cloisonnés se côtoyaient sans se connaître. Le virus a eu le mérite de faire sauter les cloisons. »

“ On recommence à se parler, à se féliciter, à s’encourager.
” Sylvain tesson


Face au « sentiment de la dégradation des rapports humains élémentaires », il y a  « les applaudissements du soir [...] la nouvelle liturgie laïque de la France ». « Le personnel hospitalier s’avoue sensible à l’ovation. C’est la première fois qu’on lui décoche autre chose que des récriminations », écrit-il. Et de rappeler : « A tous les étages de la Pitié, on s’extasie devant un phénomène nouveau : entre collègues, on recommence à se parler, à se féliciter, à s’encourager. On affiche sur des petits papiers les remerciements que l’on reçoit. Signe des temps : on était allés jusqu’à perdre l’habitude d’un climat humain, simple, tempéré, dans l’ordre de la charité ».

Le témoignage louangeur de Sylvain Tesson, au style mélangeant réalisme et lyrisme, souvent teinté de références liturgiques, s’étend avant tout sur le travail de cette armée des ombres qui luttent pour sauver des vies ou faire fonctionner cette énorme machinerie, tous fiers de l’appartenance au service public ; infirmiers, ouvriers, magasiniers, techniciens, médecins...

“ Seule certitude : l’hôpital français a tenu.
” Sylvain Tesson


Des zones Covid aux caissons frigorifiques, Sylvain Tesson nous invite à un voyage bienveillant et admiratif au sein de l’hôpital public. « Ici, on stocke les masques FFP2 ; ici, les gels offerts par L’Oréal ; ici, des visières fabriquées sur une imprimante 3D ; ici, des masques fournis par l’Eglise de Chine. On surveille les accès car tout ce matériel, c’est l’arme du moment », confie l’écrivain.

« La crise entraînera-t-elle les pouvoirs publics à reconsidérer les salaires ? Le professeur Combes milite déjà pour que ses infirmières-réanimatrices jouissent d’un statut spécifique. Seule certitude : l’hôpital français a tenu. S’il a tenu, c’est grâce à une troupe de soutiers inconnus. Soudain la « société du spectacle » s’est aperçue qu’il existait une force échappant au spectaculaire », affirme l’observateur.