En 2017, la France grimpait à la première place du classement annuel Soft Power 30,
symbole d’une influence retrouvée à l’international suite à l’élection
d’Emmanuel Macron. Nier l’importance d’un tel classement serait une erreur,
tant la bataille pour l’influence est devenue primordiale au XXIème siècle avec
l’avènement des outils digitaux. Cependant, la voix forte que nous avons
retrouvée pourrait un jour devenir inaudible sans la refonte nécessaire de
notre audiovisuel extérieur, qui n’a su pleinement se saisir des opportunités
apportées par la révolution numérique.
Des canaux digitaux sous-exploités
S’il est difficile désormais de contester que le numérique
ne soit entré de plain-pied dans les politiques publiques, il reste cependant
quelques domaines où cet état de fait tarde à se traduire dans la réalité : il
en est ainsi de l’audiovisuel extérieur de la France.
Il est étonnant d’observer combien en son sein, les moyens restent
principalement affectés à la radio et la télévision. S’il est indubitable
que ces canaux permettent de toucher largement des publics lointains et épars,
le constat peut être aussi fait que ceux-ci sont déclinants et surtout,
manquent largement la cible de la génération montante ; un fait d’autant plus
grave qu’en Afrique par exemple, les moins de 25 ans représentent près de 65 %
de la population totale.
Lors de son
discours prononcé à l’Académie française, le président de la République a
particulièrement insisté sur la nécessité pour la Francophonie de se saisir de
ces outils numériques comme d’une opportunité historique afin de repenser son
influence au travers de contenus pédagogiques, médiatiques, académiques ou
encore culturels. Pourtant, Internet reste ô combien le parent pauvre de la
politique d’influence de la France et notamment médiatique. C’est d’autant plus
surprenant que les réseaux sociaux constituent aujourd’hui dans de très
nombreux pays la principale, voire l’unique source d’information. Il semble
donc que ces dynamiques étrangères ne sont pas perçues à leur juste valeur par
ceux qui définissent la stratégie d’influence médiatique extérieure de la
France.
La nécessité de se replacer dans un échiquier mondial en
mouvement
En matière d’influence médiatique, l’heure est aux grands
mouvements : la Chine réorganise ses médias d’État pour que sa voix soit
plus forte à l’international ; l’agence
turque Anadolu a multiplié ces dernières années les ouvertures de bureaux,
en particulier en Afrique et dans le monde arabe ; la Turquie - encore - inonde
les écrans du monde arabe avec ses séries ; enfin, Russia Today - et ses
déclinaisons en langues étrangères - recrute des dizaines de journalistes
partout dans le monde pour alimenter ses comptes et ses pages sur les réseaux
sociaux. Sans compter sur l’État islamique qui a fait des réseaux sociaux et de
l’Internet son principal canal pour recruter et convertir des jeunes du monde
entier, notamment grâce à des vidéos.
Russie, Turquie, Chine... Tous ces candidats en quête d’influence adaptent
leurs outils et leurs offres au contexte et aux usages du XXIème siècle.
Alors qu’ils étaient principalement organisés comme des outils de “diffusion”,
les instruments d’influence médiatique, souvent nés pendant la guerre froide à
l’époque où le numérique et Internet n’existaient pas, sont aujourd’hui devenus
des producteurs et des agrégateurs de contenus. Car, sur Internet, l’influence
passe par le volume de contenus disponibles d’une part, et par leur
disponibilité sur les “carrefours d’audience” que sont les grandes plateformes
comme Facebook, Youtube ou Twitter d’autre part. C’est en partant de ce
constat que la politique publique relative à l’influence de la France dans le
monde, ainsi que les outils et moyens dédiés, devraient aujourd’hui être
entièrement repensés. Si les contenus médiatiques français et plus
généralement européens ne sont pas massivement disponibles sur les grandes
plateformes du web, notre influence dans le monde continuera à décliner au
profit des idées véhiculées par d’autres puissances.
Atteindre les audiences avec des sujets marquants et des
outils efficaces
L’enjeu est donc de savoir si la France délaissera la
bataille communicationnelle au profit de ces acteurs, notamment vis-à-vis de la
jeunesse, ou si elle choisira d’exploiter les mêmes outils qu’eux.
La question mérite d’autant plus d’être posée que, contrairement à ce que
laisse supposer la théorie de certaines agences communicationnelles et
d’informations spécialisées, le salut de notre influence numérique ne réside
pas nécessairement en l’augmentation des moyens qui lui sont consentis. La
sélection de sujets pertinents, qui parlent à l’audience visée en faisant appel
à un imaginaire qui lui est propre, est le véritable catalyseur d’une influence
digitale forte. Cette définition de sujets cibles aura d’autant plus de
chances d’être efficace si, tout en utilisant la société civile comme émetteur,
elle reprend des éléments de mythologie télévisuelle permettant de susciter
l’intérêt des jeunes esprits, tout en réintroduisant des éléments factuels. En
effet, l’importance des séries et du cinéma dans la construction des références
collectives de la jeunesse n’est plus à démontrer. Daesh l’a d’ailleurs
malheureusement bien compris, ses outils de propagande jouant fortement sur
cette corde.
L’ensemble de cette réflexion sur l’influence digitale de la France semble
particulièrement d’actualité alors que le Président a annoncé le rapprochement
de l’Institut français et de l’Alliance française. Quant à France Médias Monde, née dans un
contexte de redéploiement des ambitions de la France à l’étranger, il serait
nécessaire d’en parachever la mue en transformant ses outils radiophoniques et
télévisuels historiques en un puissant agrégateur numérique des meilleurs
contenus produits par l’ensemble des médias français. Charge à France
Médias Monde de rendre ces contenus les plus visibles et accessibles possible,
sur les grandes plateformes – Facebook, Youtube… – fréquentées quotidiennement
par des centaines de millions de personnes partout dans le monde.
Si notre pays semble désormais parti pour se transformer en profondeur et
s’adapter au monde du XXIème siècle, si les visites à l’étranger du président
Macron suscitent beaucoup d’espoir et d’attentes grâce à des prises de position
fortes en faveur du climat, des jeunesses, du numérique et de l’intelligence
artificielle, il est urgent que la France utilise à pleine puissance les
médias numériques pour faire vivre ces idées et fédérer autour d’elles. La
transformation des instruments d’influence de la France à l’étranger ne peut se
résumer à un changement de communication et à des adaptations cosmétiques. Dans
la poursuite de la logique posée par les réformes en cours dans les transports,
dans la santé, dans la culture et dans l’agriculture, la politique d’influence
de la France à l’étranger doit être revue en profondeur et doit être portée par
de réelles ambitions. Une nouvelle rénovation de façade pour ne fâcher
personne et pour ne pas remettre en cause des situations acquises – comme il y
en a déjà eu depuis 20 ans – ne permettra pas de stopper le déclin de notre
influence dans le monde.