Comment être un bon patron :
" Ne vous inquiétez pas,
les chimpanzés ont la solution !"
Télétravail, place de la femme… : que peuvent nous apprendre les crânes de nos ancêtres sur les cerveaux des responsables des ressources humaines d’aujourd’hui ?
Pascal Picq, paléoanthropologue de renom, est à Annemasse ce mercredi au Forum RH pour parler “révolution du travail” avant d’introduire les Assises du Travail à Paris au milieu de ministres.
Que vient faire un paléoanthropologue au milieu d’un forum RH ?
« La même chose que je vais faire à Paris en introduisant les premières Assises du travail le 20 octobre. On a beaucoup à apprendre de la diversité des sociétés humaines et des singes et grands singes d’aujourd’hui. La France est un pays napoléonien, qui aime l’autorité, le contrôle, les petits chefs, qui est sur la défiance, qui ne fait pas confiance, alors que les pays anglo-saxons, sur les ressources humaines en tout cas, sont n e t t eme n t meilleurs. Récemment, devant un groupe de grands DRH, je parlais des harems et comme n t c e l a fonctionnait dans les espèces de babouins. Avec différents exemples et le lien avec la structure, le schéma d’organisation de leurs entreprises. Au final, ce qui compte aujourd’hui, c’est de jouer sur la réorganisation et non la restructuration. Ce sont les entreprises qui Ce sont les entreprises qui sont venues à moi il y a 30 ans. Elles s’interrogeaient sur leur stratégie d’innovation, sur l’adaptation. Et cela fait quatre milliards d’années que la vie innove. Les ressources humaines parlent du sens et de l’humain, cela s’appelle de l’anthropologie. On préfère écouter les psys ou les philosophes parfois bidons au lieu d’écouter des anthropologues mais, heureusement, c’est en train de changer. »
Vous avez écrit Les Chimpanzés et le télétravail. À l’heure où certains accords se négocient encore, notamment dans les zones frontalières, comme en Haute-Savoie, quels conseils donnez-vous ?
« Avec la pandémie et le télétravail plus ou moins forcé, on entendait des médias, des dirigeants, des DRH, surtout en France d’ailleurs, sur le fait qu’ils avaient beaucoup de craintes. La crainte de la perte de cohérence des équipes, qu’elles n’arriveraient pas à régler des problèmes complexes, qu’il serait difficile d’innover, de mobiliser les collaborateurs et collaboratrices… : tout ceci correspondait à des inquiétudes légitimes. Ma réponse est celle-ci : “Ne vous inquiétez pas, les chimpanzés ont la solution !” Ils vivent dans une société dite de “fusion scission”. Certaines activités font se réunir les individus pour des interactions sociales à très haute valeur émotionnelle, ludique, affective et même politique. Ce sont les périodes de fusion. Puis, il y a des périodes où ils se séparent sur le territoire, pour aller chercher de la nourriture, se balader, etc. Les chimpanzés ont des structures qui leur permettent d’exploiter très intelligemment les ressources, tout en ayant leurs activités sociales extrêmement complexes et en ma int e nant leur cohésion, leur unité sociale. Alors je dis ceci aux DRH : faites la part de choses entre celles qui nécessitent d’être en fusion et les autres qui peuvent se faire à distance. C’est un changement total de la culture d’entreprise car il y a deux façons de l’aborder. La première, à la française, avec cette manie de présentéisme et en mettant les gens en télétravail sur des tâches qui finalement ne changent rien. L’autre façon de faire est plus complexe car elle va intégrer une nouvelle forme de bureau qui implique des visioconférences, des réunions in situ à très haute valeur en termes de tâches, de créativité, d’innovation. Il y a dix ans, on retrouvait déjà ces problématiques avec le déploiement des robots collaboratifs, l’intelligence artificielle. Tout ceci va exiger des transformations absolument considérables du management et des ressources humaines. Et pour l’instant le management intermédiaire (les courroies de transmission entre la direction et l’exécution des tâches : RH, managers, etc.) n’est pas préparé. Mais il y a une telle demande forte des collaborateurs, qu’il va falloir que tout le monde change. »
Que nous apprennent les cerveaux de nos ancêtres sur le monde d’aujourd’hui ?
« Vous allez avoir un choc : nos ancêtres avaient un plus gros cerveau que les nôtres ! Et surtout, il y avait plus d’activités qui étaient partagées par les hommes et les femmes. Il y a toute une représentation complètement conne (sic) de la préhistoire qui met les hommes à la chasse et les femmes à la grotte. C’est faux ! Voilà ce que cela peut nous apprendre : à chaque fois qu’on tombait sur une tombe de 30, 40 000 ans, voire 100 000 ans, dès que c’était un squelette costaud avec des armes, c’était un homme. On s’est complètement planté !
Les squelettes des femmes de l’époque, je peux vous dire que ce n’était pas ceux d’aujourd’hui. Ce que ça nous apprend, c’est qu’il faut arrêter les discriminations contre les femmes au travail. Ce que nous enseigne l’anthropologie, la préhistoire, c’est que la division des tâches genrées c’est aberrant et cela ne vient pas de la préhistoire mais des dérives de notre modernité machiste. »
Propos recueillis par Adélaïde SCHUTZ
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