lundi 20 avril 2020
Joseph Stiglitz: «Les Américains vont subir des pertes dévastatrices de revenus»
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Joseph Stiglitz: «Les Américains vont subir des pertes dévastatrices de revenus»
Le prix Nobel d’économie analyse la gestion de la crise du coronavirus par les États-Unis.
Par
Fabrice Nodé-Langlois
Publié le 16 avril 2020 à 14:45,
mis à jour le 17 avril 2020
Joseph Stiglitz est prix Nobel d’Economie 2001.
Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro
Confiné depuis un mois à New York, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie 2001, donne ses cours pour l’université de Columbia par vidéoconférence. Il se dit frappé par le silence qui l’environne, seulement entrecoupé d’incessantes sirènes d’ambulances. Il partage sa vision de la crise avec Le Figaro.
Le FIGARO. - Le monde a déjà connu des crises graves, qu’est-ce qui distingue cette pandémie des précédentes?
Joseph STIGLITZ. - Le monde a subi dans le passé des pandémies. La dernière, celle de la grippe espagnole, a frappé un monde très différent de celui d’aujourd’hui. L’économie mondiale est infiniment plus complexe, plus intégrée qu’il y a un siècle. La spécificité de cette crise, c’est que nous assistons à un véritable effondrement de l’offre comme de la demande. Les gouvernements ont réagi, à l’image des Etats-Unis avec ses 2000 milliards de dollars mobilisés, à une échelle qui va au-delà de tout ce qu’on a connu, à part en période de guerre.
Certains dirigeants disent que nous sommes en guerre. Le terme est-il selon vous justifié?
Oui, c’est une guerre dans le sens où elle requiert une mobilisation de toutes nos ressources, nationales et internationales pour fournir une riposte mondiale. Les gouvernements ont en effet employé une rhétorique guerrière mais n’agissent pas toujours en conséquence. Donald Trump parle tel un commandant en chef, mais si nous sommes en guerre, nous ne devons pas envoyer nos soldats au front sans équipement. Aux Etats-Unis, on s’imagine avoir la plus grande capacité productive du monde, y compris pour fabriquer des tests ou des respirateurs; ne pas l’utiliser à plein pour se protéger est très dérangeant. Trump a refusé de réquisitionner le secteur privé et a encouragé la concurrence entre Etats pour les ressources indispensables dans la lutte contre l’épidémie.
Comment jugez-vous la réponse de l’administration Trump au volet économique de cette crise?
Ce qui distingue cette crise est qu’on ne peut pas séparer la santé de l’économie. S’agissant de la gestion sanitaire, qui détermine combien il y a de morts à la fin, l’administration Trump est un désastre. Elle avait démantelé le bureau de la Maison-Blanche chargé des épidémies, elle a réduit les crédits des CDC (les centres de contrôle des maladies d’Atlanta, NDLR) ainsi que ceux d’une agence spécialisée dans la virologie. Trump avait demandé une réduction de 30% des fonds pour la recherche même s’il ne les a pas obtenus du Congrès. Il a aussi laissé se réduire les stocks de sécurité. Jusqu’à présent, le gouvernement américain disait qu’il n’y avait pas d’argent pour la santé. Et soudain, il mobilise 2000 milliards de dollars face à cette crise. Quand on veut, on trouve la ressource.
Des Républicains s’opposent à une mesure pour aider les hôpitaux. C’est incroyable comme ils semblent plus concentrés à sauver des entreprises plutôt que des vies! Autre exemple: Trump a commencé à parler de baisses d’impôts sur les sociétés ou sur les revenus. Cela n’aurait servi à rien. Le problème est la faible capacité à transmettre l’aide aux plus vulnérables. J’ai l’impression que la France ou le Danemark ont mieux réussi à soutenir les salariés.
Aux Etats-Unis, les dépenses de santé pèsent 18% du PIB, de loin le record des pays de l’OCDE. Pour quels résultats?
Nous avons un système de santé privé très inefficace. Sur ces 18% du PIB dépensés, une grosse part va aux laboratoires pharmaceutiques et aux assureurs, pas au système de santé lui-même. Des millions d’Américains ne bénéficient pas d’une aide comme la sécurité sociale universelle en France. Nous avons un niveau considérable d’inégalités en termes de santé et d’espérance de vie. Rappelons-le, celle-ci est en baisse aux Etats-Unis! Le coronavirus s’attaque aux plus pauvres et aux afro-américains dans des proportions plus grandes que le reste de la population
Revenons à la crise économique. Croyez-vous en une reprise rapide?
La reprise ne va pas suivre une courbe en «V» mais plutôt une courbe en «U». Au début on pensait partir pour deux ou trois semaines de confinement. Cela va être plus long. En outre, comme il n’y a pas de confinement national, après New York, des zones rurales pourraient à leur tour être touchées. Les chiffres de chômage sont sans doute bien plus élevés que les statistiques des inscriptions (près de 17 millions en trois semaines, NDLR). Je crois que les ménages américains vont subir des pertes dévastatrices de revenu même si le gouvernement essaie de distribuer de l’argent. Le choc sur les entreprises va se transmettre sur la demande. Il y a tant d’incertitudes autour de l’épidémie que les ménages vont sans doute adopter des comportements prudents, essayer d’épargner davantage. Ils vont moins dépenser (dans un pays où la consommation contribue à près de 70% du PIB, NDLR), il va y avoir une baisse, sans doute durable, de la demande.
En procédant à des dépenses massives, tous les pays vont gonfler leur dette. Faut-il s’en inquiéter?
Cela ne m’inquiète pas pour l’instant. Les taux sont bas, on pourra rembourser. Suspendre les limites d’endettement comme l’a fait l’Allemagne par exemple était la bonne décision. Les annonces américaines vont ajouter 10% à la dette. Les Etats-Unis vont avoir un déficit public de 15 à 20% du PIB. Cependant, viendra un moment, quand on sera vraiment sorti de la pandémie - dans un an? deux ans? - où les gens voudront peut-être dépenser tout cet argent. Cela pourrait déclencher des pressions inflationnistes. Il faudrait profiter de cet afflux monétaire pour s’attaquer aux grands enjeux, les inégalités, en taxant les plus riches, et l’environnement, notamment en taxant le carbone.
Vous dénoncez le «pouvoir de marché» des géants du numérique, qui empêchent une véritable concurrence. Les Gafa sortiront-ils plus puissants encore de cette crise?
Ils reposent sur les revenus publicitaires, ce qui peut les affaiblir à court terme. Si les Démocrates gagnent la présidentielle, ils voudront réglementer le secteur car ils sont très préoccupés par la puissance des Gafa en terme de marché et de contrôle des données. Si les Républicains l’emportent, Google et Facebook pourraient en sortir renforcés. Ils maîtrisent l’intelligence artificielle et les données dont on a besoin pour surveiller l’épidémie par le traçage. Le débat va s’intensifier sur tous ces enjeux. Au passage, je m’étonne que les Gafa réussissent à réduire les fake news sur l’épidémie, cela montre qu’ils pouvaient le faire avant sur les autres sujets.émie, cela montre qu’ils pouvaient le faire avant sur les autres sujets.
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