HOMO NUMERICUS-LE MONDE D'APRES. Après cette crise sanitaire, il se pourrait que notre modèle social évolue vers plus de valeurs d’entraide et de prévenance. Cette société-là serait la meilleure des choses qui puisse nous arriver. Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer |
Nul ne sait à quoi ressemblera le « monde-d'après ». Ce qui donne à
cette crise son caractère si exceptionnel, hors du commun, c'est que bon
nombre de mythes, de croyances et de certitudes ne tiennent plus. Le
temps s'accélère et fait voler en éclats nos repères. Ce qui était
considéré comme impossible, naïf, utopique devient tout à coup une
réalité, voire une évidence. Qui aurait pu imaginer que les Etats-Unis
puissent un jour - qui plus est avec à la tête du pays un Président ultra-conservateur - se convertir au revenu universel, ou plutôt à ce que les économistes nomment « l'hélicoptère monétaire » ?
Sous peu, des millions d'Américains recevront un chèque pouvant aller
jusqu'à 1.000 dollars. Qui aurait pu pronostiquer qu'un jour, forcément
lointain ou digne d'un film de science-fiction de série B, des robots
puissent être utilisés dans des hôpitaux pour soulager le personnel
médical débordé ? Sans parler de drones de surveillance déployés dans
les rues de grandes villes[1]
ou encore le suivi médical individuel via des applications numériques.
Ces prophéties-là sont aujourd'hui devenues des réalités.
Plus rien dans notre quotidien n'est « normal ». Nous sommes les témoins
d'une période au cours de laquelle l'impossible est devenu la norme et
où des mesures d'urgence pourraient devenir pérennes. Les cas concrets
de ce constat s'additionnent comme par exemple le fait, qu'en Europe,
des opérateurs de téléphonie se soient décidés de fournir aux
gouvernements les données de localisation de leurs clients et cela sans
trop de débats liés aux respects des libertés individuelles. Le temps
« normal » se trouve suspendu, balayé par les contingences de l'urgence.
Engagements citoyens
Impossible de dire si l'après crise consistera en un simple « replâtrage » du modèle précédent ou si ce que à quoi nous assistons en termes de mouvements de solidarités pourrait devenir une tendance lourde. Même contraintes au confinement, des milliers de personnes se sont quand même portées volontaires pour se sentir utiles, créer du lien ... bref, s'entraider pour développer un supplément de fraternité en écho à tous ceux qui continuent à être aux avant-postes pour lutter contre la pandémie sans oublier tous les autres métiers indispensables au bon fonctionnement de nos sociétés.
On ne compte plus les initiatives, qu'elles soient publiques (250.000 inscriptions sur la Réserve civique[2]), privées (30.000 salariés engagés au titre du mouvement « Tous engagés, tous confinés[3] »),
associatives... qui ont vu le jour au cours de ces dernières semaines
dans le but d'aider : garde d'enfants de soignants, courses alimentaires
à destination de personnes âgées, distribution de repas, soutien
scolaire pour venir en aide aux élèves déjà considérés comme « perdus[4] »
du fait du confinement, collecte de denrées de première nécessité...
les actions citoyennes d'intérêt général sont innombrables. Toutes ces
dernières témoignent d'une même volonté : s'impliquer personnellement en
prenant soin des autres.
Le « care », base d'un nouveau contrat social
Outre que cette crise va peut-être nous inciter à vivre différemment - certains appellent à plus de sobriété voire, comme le propose Jean Tirole, Prix Nobel d'économie, à plus de « solidarité[5] » - il y a fort à parier que l'un des piliers de ce contrat social post-covid19 passera par une société plus inclusive faisant place à ce que les anglo-saxons appellent le « care ». Difficile à résumer, le « care » est un condensé de notions telles que le soin envers l'autre, la prévenance, l'entraide...Pour simplifier, ce sont toutes les actions destinées à vivre les uns avec les autres plutôt que les uns contre les autres. A contrecourant de ceux qui répètent que notre pays est fracturé entre des communautés irréconciliables, cet élan d'entraide de la part de la société civile pourrait contribuer à remettre du ciment social, en renforçant la solidarité nationale mise à mal par plusieurs récentes crises sociales.
En
ravivant cette flamme de la solidarité et de l'entraide, cette crise du
covid19 aura au moins permis d'éloigner, le plus longtemps possible,
espérons-le, « le nihilisme satisfait qui se répand dans nos
sociétés, où la recherche sans limites d'avantages matériels va de pair
avec un profond mépris pour l'intérêt général et le bien commun », comme l'écrit l'historien et économiste Nicolas Baverez dans son dernier essai « L'alerte démocratique[6] ».
Dans un récent entretien, le sociologue et philosophe Edgar Morin analysait cette pandémie en se faisant la réflexion que « cette crise montre que la mondialisation est une interdépendance sans solidarité[7]
». Cette solidarité revivifiée par la multitude d'actions citoyennes,
ce « care » collectif, pourrait bien être ce qui marquera ce monde
d'après. Il faut non seulement l'espérer mais également l'encourager.
C'est à ce prix que ce « sens de l'essentiel » vanté par le président de
la République dans son discours du 16 mars, s'imposera naturellement à
tous.
(1) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-nice-un-drone-survole-la-ville-et-ordonne-de-rester-chez-soi-20200320
(2) https://covid19.reserve-civique.gouv.fr/
(3) https://confines-engages.fr/?mc_cid=339f8dd1a3&mc_eid=6c82480101
(4) https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/confinement-les-enseignants-ont-perdu-le-contact-avec-5-a-8-des-eleves-selon-jean-michel-blanquer_3892723.html
(5) https://www.lepoint.fr/politique/jean-tirole-la-solidarite-au-temps-du-covid-19--25-03-2020-2368777_20.php
(6) https://www.editions-observatoire.com/content/Lalerte_d%C3%A9mocratique
(7) https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200318.OBS26214/edgar-morin-le-confinement-peut-nous-aider-a-commencer-une-detoxification-de-notre-mode-de-vie.html
Philippe Boyer est un bloggeur reconnu en matière de numérique et d'innovation. Ses écrits paraissent régulièrement dans la presse économique et digitatal : la Tribune, les Echos, Siècle Digitale, etc ...
Il est actuellement Directeur de l'Innovation de l'un des plus importants groupes immobiliers européens.
https://www.latribune.fr/opinions/blogs/homo-numericus/le-care-espoir-d-une-nouvelle-societe-844194.html
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