Cette semaine, pour la première fois depuis un an, j’ai repris un avion. Un long courrier. Pour aller en Asie. Puis un autre, pour en revenir, très rapidement.
Je n’étais pas revenu dans un aéroport depuis douze mois, au retour d’une réunion dans la Silicon Valley, sans imaginer que je n’y reviendrai pas pendant si longtemps.
En route pour Roissy CDG, il y a quelques jours, je me demandais ce que j’allais ressentir en arrivant dans ce lieu antérieurement si familier ; et en quoi cette longue absence, cette longue abstinence, aurait modifié mon regard sur les voyages aériens et sur les voyages en général.
Il ne m’a fallu que quelques minutes, après mon entrée à l’aéroport, pour comprendre que je ne ressentais aucun sentiment particulier. Que ce voyage tant attendu n’était rien d’autre qu’un voyage de plus. Que la longue parenthèse était effacée en quelques instants. C’est comme si j’étais venu là quelques jours avant et non pas douze mois plus tôt. Comme si cette année si particulière, et qui ne fut pourtant pas du tout vide pour moi, apparaissait cependant assez fade pour ne plus être qu’un intervalle sans durée et qu’une amnésie avait frappé mes souvenirs de ces longs mois contraints à la sédentarité.
Cette sensation fut, au début, comme une déception : quoi, moi qui aime tant les voyages, voilà que les retrouver ne me fait aucune impression ? Moi qui attache tant d’importance au temps qui passe, voilà que ces douze mois ont disparu sans laisser de traces ? Avais-je si intensément besoin de les faire disparaitre, de recoller les morceaux de ma vie en oubliant ce cauchemar, en le niant même.
C’est sans doute ce que beaucoup ont ressenti ou ressentiront dans la même situation. Et que presque tous vivront aussi quand la pandémie s’éloignera : le besoin impérieux d’un retour à la vie d’avant ; aussi vite, aussi banalement que possible, en effaçant toutes traces de ces mois, (ou peut-être même de ces années) si éprouvantes. Beaucoup y parviendront, et oublieront.
Pour un moment en tout cas. Car ces années ne seront pas sans laisser de traces. Et que, qu’on le veuille ou non ; il faudra, dans la durée, vivre autrement qu’avant. De cela, j’ai vite pris conscience : car, tout au long de ce voyage, ce sentiment de banalité, de retour au même, s’est éloigné, au fur et à mesure où je prenais conscience de quelques situations étranges et choquantes : que de gens imprudents dans les aéroports ! Que de lacunes dans les contrôles des tests ! Que de formulaires inutiles et jamais vérifiés ! Que de légèreté dans les documents passant de main en main entre les voyageurs, les policiers, les douaniers, les personnels des compagnies aériennes ! Que d’inconscience dans la distribution des repas à bord !
Pourquoi fermer les restaurants si c’est pour laisser deux passagers aux sièges collés, manger, boire, échanger des plats ou du pain, converser même, sans masque ? Pourquoi interdire les spectacles et les concerts quand des gens s’entassent pendant des heures dans les queues fort longues ou dans des salles d’attente sans réelle distanciation ; et sans que personne ne contrôle vraiment s’ils portent correctement leur masque ? Pourquoi faire prendre tant de risques à tous les personnels des aéroports et des compagnies aériennes, si c’est pour interdire, au même moment, aux personnels des restaurants, des théâtres et des cinémas d’en prendre beaucoup moins ?
http://www.attali.com/coronavirus-2/le-retour-des-voyages/
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