Le célèbre chef, très engagé pour réduire la fracture sociale, propose de construire l’avenir en créant un véritable fonds de transition à impact social et environnemental.
Par Thierry Marx
Publié le 17 mai 2020
Nouvel Obs
Des milliards d’individus, confinés, infantilisés, netflixisés. Un monde qui s’arrête comme une locomotive entre deux gares. Personne ne descend. Derrière les vitres, les informations sont en blouses blanches, souvent loin de nos vies entre parenthèses. Et il va falloir que le train reparte. Mais pour aller où ?
La crise que nous traversons dans sa soudaineté, dans nos privations de libertés et dans notre sidération, nous rassemble. Elle nous permet de « faire peuple ». Un peuple qui vit un de ces très rares moments où il peut décider de son avenir. La crise qui nous frappe de plein fouet est sanitaire aujourd’hui, hier elle était économique, sociale et demain, si nous ne changeons rien, elle sera climatique.
En finir avec le« tout, tout de suite »
Ces crises sont violentes. La seule façon d’y survivre est de nous montrer agiles et prévoyants. Nous devons réfléchir à notre future liberté. Nous déconfiner aussi d’une économie qui était celle du « tout, tout de suite », des rendements immédiats, de la course aux résultats souvent au mépris du bon sens, au mépris de l’environnement et du sort des individus.
N’entrons pas dans le monde de demain uniquement alourdis de nouvelles dettes. Dettes que nos enfants devront payer. Le temps nous est compté avant que la récession n’aggrave encore plus les inégalités. Nous devons mettre en route vers l’économie de la transition, une économie de la raison et du temps long, une économie du respect de notre capital, la nature et le vivant. Aucun système ne sera soutenable s’il construit ses profits sur la destruction ou la surexploitation de la nature. Comme le dit avec force mon ami Gilles Bœuf :
“« Nous devons cesser notre imprévoyance, notre arrogance et notre cupidité. »”
Je vis de ma passion : cuisiner. J’ai appris mon métier à l’école de grands Chefs qui m’ont transmis, leur savoir, leur maîtrise du geste, du temps, du feu… Ils m’ont appris l’essentiel et m’ont donné une chance. Je travaille avec des entreprises souvent fondées par des jeunes qui ont une nouvelle approche de l’environnement et de l’économie. Je crois en leur modèle. Et c’est à eux qu’il faut aujourd’hui donner une chance.
Il ne s’agit pas du « monde d’après » mais de celui de maintenant. Nous devons aider tous ceux qui souhaitent offrir un autre modèle. Un système économique qui cumule des valeurs de croissance raisonnée, de patience et de respect des ressources naturelles. Ce modèle doit être performant et se montrer capable de générer des profits. Ceux-ci sont indispensables. Des profits distribués de manière beaucoup plus équitable.
Créer un fonds de transition
La société a un besoin urgent de ce signal. Nous devons profiter de cette crise pour nous réinventer et financer les acteurs de cette transition. Nous appelons donc à la création d’un fonds de transition. Pour bâtir le monde d’après. Un fonds géant, à la hauteur de l’enjeu, financé par le privé, géré par le privé, et abondé par l’état. Un euro « public » pour chaque euro « privé ».
Ce fonds servira à financer nos PME, nos artisans, nos commerçants et tous ceux qui ont été mis à mal et qui souffrent de difficultés d’adaptation. Il faudra les doter des outils nécessaires pour assurer leur avenir. Ce fonds financera aussi les acteurs de nos territoires, ferments du renouveau des villes moyennes et des communes rurales. La ruralité et les relocalisations sont essentielles. Elles sont gages de notre indépendance et de nos choix de vie. Il devra mettre le digital et les nouvelles technologies au service de nos vies et de notre épanouissement. Une croissance raisonnée qui alimentera et redonnera l’envie d’un destin partagé. C’est essentiel pour réconcilier profit, temps, création de richesses et enfin remettre l’homme au centre de nos actions.
Pourquoi attendre ?
Ce choix, nous le pensons courageux, réaliste, porteur d’avenir. Tout simplement parce qu’il préservera la vie économique et sociale des entreprises, associations, ONG… qui s’engageront sur un modèle de gestion différent. Cette ambition n’est pas magique. Bénéficier de ce fonds demandera des engagements forts. Nous devrons fixer des critères stricts et mesurables, fondements d’une nouvelle approche économique que nous devrons mener collectivement : assureurs, grands groupes, banquiers et l’Etat, bien entendu.
Ce fond doit être lancé le plus rapidement possible. Le modèle est connu, l’ambition évidente et la direction claire. Nous avons l’expérience, les acteurs, le savoir-faire et la vision. « Time is money » répétait Benjamin Franklin. Dans cette période d’orage économique, reprenons la phrase de celui qui a su capter la foudre : « Le temps c’est de l’argent ».
Alors, pourquoi attendre ?
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