À quoi ressemblera la ville post-coronavirus ?
Par Pauline Vallée I Publié le 12 Mai 2020
WE DEMAIN
La pandémie du Covid-19 va façonner les villes sur le long terme. De l’avènement de la surveillance à l’explosion du vélo, certains de ces changements sont déjà visibles.
Moins peuplée, sans voiture, plus naturelle ou truffée de caméras de surveillance : de quelle ville voulons-nous désormais ? (Crédit : Needpix) |
L’épidémie de coronavirus a profondément modifié la façon dont nous nous déplaçons et travaillons, mais aussi notre rapport à l’espace urbain. Nous avons vu nos villes se vider d’une partie de leurs habitants et des voitures, pour mieux accueillir le retour de la faune sauvage, les files d’attente devant les magasins, et le bruit, tous les soirs à 20h, des applaudissements adressés au personnel soignant.
Le déconfinement sera-t-il synonyme de retour à la normale ? L’impératif de distanciation sociale, et le souvenir de la pandémie, risquent au contraire de transformer les métropoles sur le long terme. Et certains de ces changements sont déjà à l'oeuvre.
Avec ou sans voiture ?
En mettant les flux de population à l’arrêt, le confinement nous a montré à quoi pouvait ressembler une ville sans voiture. Un gain en silence, en sécurité, mais aussi en qualité de l’air : sur le mois d’avril, le taux de dioxyde d’azote a chuté de 40 % et celui de particules fines de 10 % en moyenne en Europe, évitant 11 000 décès prématurés.
Le 11 mai pourrait voir la tendance repartir en sens inverse. Une recrudescence de la voiture individuelle, dopée par la peur de prendre les transports en commun bondés et la baisse du prix du pétrole.
Pour éviter cela, de grandes villes se tournent vers une troisième voie : le vélo. Moins encombrant, ce mode de transport permet de respecter la distanciation sociale sans générer de pollution.
La capitale colombienne Bogotá a ainsi mis en place, en une nuit, une centaine de kilomètres de "coronapistes", des pistes cyclables d’urgence. En Italie, Milan prévoit de transformer 35 km de rues, en élargissant les trottoirs et créant de nouveaux couloirs à vélo. Londres, Vienne, Mexico ou encore New York suivent un chemin similaire.
En France, comme nous l’écrivions mi-avril, plusieurs villes réfléchissent à de nouveaux aménagements cyclables pour accompagner le déconfinement.
La priorité est aussi donnée aux piétons. Pour ce faire, les autorités peuvent restreindre la place réservée à la voiture, en supprimant, par exemple, des places de stationnement, ou en ouvrant des “slow streets”, à l’instar des villes américaines d’Oakland et San Francisco.
La fin de la grande ville ?
La ville favorise-t-elle l’épidémie ? Pour le président de l’Union Nationale des Aménageurs (Unam), interrogé par Les Echos, la réponse est claire : "l'hyperdensité est un vecteur de contamination". Le coronavirus a réactivé la vieille idée selon laquelle la ville est dangereuse pour la santé. Ce n’est donc pas un hasard si les recherches immobilières se concentrent, depuis le début de la crise, sur les maisons dans les villes moyennes de 50 000 habitants. Exit le fantasme de l’appartement en plein centre-ville.
À lire aussi : L'épidémie va-t-elle provoquer un exode des citadins vers la campagne ?
L’essor du télétravail, rendu possible grâce au développement des outils numériques, fait que la proximité avec le lieu de travail pourrait ne plus être un facteur décisif pour décider de son lieu de vie. On peut imaginer un nouveau modèle de répartition des populations, entre mégapoles concentrant entreprises, loisirs, offres scolaires et culturelles, et villes à taille humaine. Loin d'être de simples cités-dortoirs, ces dernières devront accueillir les habitations, mais aussi des ateliers, usines et commerces.
“En ce moment, nous réduisons la densité partout où cela est possible, et c’est une bonne chose”, note le sociologue américain Richard Sennett, auteur de Bâtir et habiter, dans un article du Guardian.
Avant de nuancer : “La densité est aussi une bonne chose : les villes denses sont plus efficientes sur le plan énergétique. Je pense qu’à long terme, il y aura un conflit entre les attentes en terme de santé publique et celles sur le climat.”
Le retour de la vie de village ?
Et si, en limitant nos possibilités de déplacement, la crise avait permis le retour d’une vie de quartier ? Cet immobilisme forcé nous amène à relocaliser notre consommation et notre sociabilité. Les Français ont ainsi été nombreux à se tourner vers les circuits courts pour s’approvisionner en produits locaux.
Les dernières semaines, écrit le géographe Luc Gwiazdzinski dans Le Monde, “[amènent] naturellement à réfléchir à la nécessité de ramener certains commerces et services publics dans les quartiers” et “réinventer une organisation de la ville, pour qu’elle favorise la proximité et une mobilité raisonnée, avec une palette de services de base à l’échelle des quartiers”.
Un voeu qui résonne avec le concept de la “ville du quart d’heure” théorisé par l’urbaniste Carlos Moreno. La ville se conçoit alors comme une agglomération de petits villages, au sein desquels chacun peut accéder à six fonctions urbaines (habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, apprendre, se divertir) en seulement 15 minutes de marche ou de vélo.
Repenser l'espace urbain
Oiseaux, renards, sangliers… Le retour de la nature sauvage dans les rues n’a souligné qu’avec plus de force son exclusion ordinaire de l’espace urbain. Se pose la question de la place que nous pourrons lui accorder à l’avenir. L’architecte Alexandre Chemetoff plaide ainsi, dans Télérama, pour une ville “accueillante pour la faune et la flore” mais aussi “agréable aux humains qui la peuplent et se retrouvent actuellement confrontés à des logements trop petits, des rues étouffantes, un horizon bouché”.
Les infrastructures publiques, en particulier les toilettes, doivent également être repensées à l’aune des nouvelles exigences en matière d’hygiène. Ces lieux doivent être accessibles, propres, et permettre de se laver les mains sans risque de contamination. “L’heure est venue de repenser plusieurs choses, et les toilettes en font partie” appuie le professeur en maladies infectieuses Peter Collison dans le Guardian. Une solution serait, selon lui, de miser sur les détecteurs de présence pour éviter d’avoir à toucher les loquets et robinets.
Le mobilier urbain n’est pas en reste. Mieux adapté, il pourrait aider à lutter contre les maladies. On peut ainsi se fournir facilement en masques jetables (pour environ 2 euros) et gel hydroalcoolique (entre 1 et 3 euros) à Varsovie, en Pologne, grâce aux distributeurs installés dans les rues. À l'aéroport international de Hong-Kong, les voyageurs peuvent passer par une cabine de décontamination, actuellement en phase de test, pour une désinfection expresse. En verra-t-on bientôt de semblable apparaître dans l’espace public français ?
La place du tourisme
Le 9 mars, Venise s’est tue. Ses habitants ont redécouvert, ravis, leur ville préservée de la foule et du bruit. Et en ont profité pour imposer un “non” définitif au tourisme de masse. Les voyageurs ne seront, de toute façon, pas de retour avant un bon moment - suspension du trafic aérien oblige.
Quota de visiteurs quotidiens, restriction des bateaux à moteur les plus polluants, retour des classes moyennes dans la ville historique… Les propositions abondent pour instaurer un tourisme plus intelligent et respectueux de l’environnement.
La France n’y échappera pas : un dispositif de caméras a été déployé dès ce lundi dans la station de métro parisienne Châtelet-Les-Halles, afin de quantifier le nombre de voyageurs portant le masque réglementaire.
Des drones déployés depuis le 15 mars par la Police Nationale en divers points du territoire (Paris, Nice, Ajaccio...), servant à interpeller les personnes ne respectant pas le confinement, ont également suscité la controverse. La Ligue des droits de l'Homme et la Quadrature du Net ont déposé un référé début mai devant le tribunal administratif de Paris, afin de demander la suppression immédiate du dispositif.
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