lundi 26 octobre 2020

Audrey Richard: «Les DRH se battent pour la survie des entreprises»

ENTRETIEN - La présidente de l’ANDRH aide ses pairs à passer le cap de la crise en leur apportant tout le soutien logistique et psychologique dont ils ont besoin.

Audrey Richard, 48 ans, a été élue en juin présidente de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Au cours de son mandat de deux ans, la directrice des ressources humaines et de l’engagement des salariés d’Up Group entend soutenir l’action des DRH, très sollicités pendant cette période, porter leur voix auprès des pouvoirs publics et renforcer leur rôle central comme acteurs de référence des fonctions RH.



«Si les DRH s’occupent de tout le monde, qui s’occupe des DRH?», se demande Audrey Richard.SEBASTIEN SORIANO/Le Figaro


LE FIGARO. - Être DRH par temps de Covid 19, est-ce être «cost-killer» pour supprimer le maximum de postes ou «GO du Club Med» pour inventer la meilleure organisation du travail?

Audrey RICHARD. - Quand on allume la télévision, on a l’impression que la France est en plan social, mais ce n’est pas le cas. Les DRH se battent, à côté des directions générales, pour la survie des entreprises et pour ne pas tailler dans les effectifs. C’est en tout cas ce que nous ont répondu trois DRH sur quatre quand on les a interrogés en septembre. Aujourd’hui, un DRH doit être extrêmement disponible - c’est dans son ADN - pour le collectif et l’individuel. Il doit décortiquer, analyser et expliquer aux manageurs et aux partenaires sociaux les dispositifs mis en place pour préserver l’emploi (type accord de performance collective) ou garantir la sécurité des salariés (comme les protocoles sanitaires). Ils doivent aussi «prendre soin des autres» pour éviter les décrochages.

Ils ont à leur disposition des outils pour limiter les licenciements: chômage partiel, accords de performance collective, plans de départs volontaires… Sont-ils suffisants, faciles à mettre en œuvre?

On a la chance d’avoir ces dispositifs que, d’après notre sondage, 40% des DRH utiliseront dans les prochaines semaines pour restructurer et éviter de licencier. Attention, tous ne peuvent se déployer qu’en dialoguant dans l’entreprise au plus près du terrain. C’est à ce niveau - et certainement pas au plan national - que se trouvent les solutions. Ces dispositifs, s’ils ne sont pas complexes à appliquer, portent toutefois sur des durées trop longues: il faut en moyenne quatre à six mois pour mettre en place en France une restructuration. C’est trop! On a démontré, pendant le confinement, qu’on pouvait aller plus vite, on doit en tirer les enseignements.

Un bon DRH doit être capable d’avoir une vision large des problématiques actuelles, avec une forte capacité d’écoute et de mise en œuvre de solutions concrètes

Audrey Richard,

Quelles qualités un bon DRH doit-il avoir en ce moment?

Je me pose cette question tous les jours… Il n’existe pas de DRH type qu’on pourrait copier-coller dans toutes les entreprises. Un bon DRH doit être capable d’avoir une vision large des problématiques actuelles, avec une forte capacité d’écoute et de mise en œuvre de solutions concrètes. Il doit aussi être courageux pour traiter en ce moment les restructurations ainsi que les sujets nouveaux comme la santé au travail, le sommeil, le déjeuner, les violences faites aux femmes, le bien-être en entreprise…

On attend des plans sociaux à la pelle à partir de janvier. Comment maintenir la motivation des collaborateurs qui restent et voient leurs collègues partir?

La clé, c’est la communication et la transparence. Un DRH doit expliquer pourquoi l’entreprise doit prendre certaines décisions difficiles et les faire partager, notamment grâce au dialogue social qui ne peut pas se résumer à l’envoi d’un simple mail aux managers. La communication interne est capitale et doit passer par des réunions avec le management, des portes ouvertes… Cet accompagnement des managers est d’ailleurs l’une des priorités que les DRH se fixent pour 2021 afin de les aider à faire cohabiter plusieurs populations sous statuts différents : en télétravail, sur site, en chômage partiel…

Justement, croyez-vous à la généralisation du télétravail?

Pas cinq jours sur cinq, en tout cas. Les DRH recommandent un rythme hybride de deux jours à la maison et trois en entreprise. Il faut éviter le décrochage avec un temps de travail à domicile supérieur à celui au bureau. Il faut être lucide: le confinement a libéré les pratiques en matière de télétravail et, notamment sous la pression des syndicats et des salariés, on ne reviendra pas en arrière.

Comment éviter une fracture entre les cadres en télétravail et les salariés en travail posté?

Je ne crois pas à cette fracture et c’est aux DRH de l’éviter, notamment en gardant l’esprit collectif de l’entreprise et en essayant de trouver des solutions pour vivre ensemble au quotidien. Pendant le confinement, certains managers en télétravail se rendaient sur site pour être avec les salariés postés: ils ont adapté leurs pratiques à la situation. La clé est là.

Quelles priorités doivent avoir les DRH en cette fin d’année et pour 2021?

Pour la fin de 2020, les DRH à qui nous avons posé la question ont répondu la gestion des mesures liées au Covid, le développement du télétravail, l’accompagnement des manageurs et les difficultés de recrutement. Pour 2021, les préoccupations de long terme prennent le pas sur les considérations plus immédiates et le développement des actions de responsabilité sociale des entreprises (RSE) devient une priorité.

La crise pousse à plus d’autonomie. L’avenir du management passe-t-il par le développement du travail en mode projet?

Oui, assurément, mais aussi dans la capacité à donner du sens au travail, à l’exemplarité… Le management à l’avenir ne sera plus hiérarchique et vertical, mais collaboratif et transversal.

Depuis trois ans, on ne parle que de développement des compétences en RH. Comment cela se traduit-il au quotidien pour vous?

Les «soft kills», que ce soit l’adaptabilité, la facilité de communication ou la collaboration, sont en effet devenues essentielles. Ce sont des compétences à regarder, évaluer, développer, et c’est le rôle du DRH de le faire. On est par exemple passé d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) classique à un développement plus «autodidactif» des compétences via des formations digitales plus fréquentes par petites capsules.

Les DRH sont sous pression. Vers qui doivent-ils se tourner s’ils sont sur le point de craquer?

C’est la question: si les DRH s’occupent de tout le monde, qui s’occupe des DRH? C’est notamment le rôle de l’ANDRH de les aider dans leurs fonctions mais aussi à se projeter dans le futur par des rencontres pour échanger entre pairs, se challenger, trouver des solutions. L’ANDRH ne fait pas que porter la voix des DRH auprès des pouvoirs publics, son rôle est aussi de les épauler dans leur quotidien.


Par Marc Landré - Le Figaro


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