Après Danone, le Crédit mutuel adopte le statut de l'entreprise à mission. Une nouvelle façon de penser le rôle des entreprises.
Vous savez que depuis quelques mois, précisément depuis que le plan de relance de l’économie française est évoqué, une bataille se joue sur la question des contreparties écologiques et sociales auxquelles les entreprises devraient être –ou ne pas être- soumises. Résumons à grands traits : les ONG et les syndicats déplorent l’insuffisance, voire l’absence, de contreparties aux aides annoncées par le gouvernement ; les organisations patronales, de leur côté, considèrent que la crise en cours et à venir suppose de ne pas les fragiliser davantage avec de nouvelles contraintes.
Cette confrontation est bien réelle. Souvenez-vous par exemple au printemps lorsque le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, avait écrit au gouvernement pour lui demander un moratoire sur un certain nombre de dispositions environnementales. La révélation de ce courrier par le Canard Enchainé avait poussé la ministre de la Transition écologique de l’époque, Elisabeth Borne, à lui opposer une fin de non-recevoir.
Pour autant, il ne faudrait pas en déduire l’idée d’une étanchéité absolue entre d’un côté le projet d’une transition écologique et solidaire, et de l’autre le monde de l’entreprise dont le seul but serait d’accumuler du capital et de récompenser ses actionnaires. C’est tout l’intérêt des entreprises à mission qui, à tous petits pas, commencent à se faire une place dans le paysage économique national.
Qu’est-ce qu’une entreprise à mission ?
Si vous avez une âme de juriste, je vous renvoie à l’article 176 de la loi Pacte du 22 mai 2019, qui en introduit le principe dans le droit français. Peuvent ainsi se prévaloir de ce label les entreprises qui fixent dans leurs statuts ‘’un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux’’, et qui, bien sûr, les respecte (un organisme indépendant est chargé de vérifier que c’est bien le cas).
Parmi les exemples les plus fréquemment mis en avant, il y a la Camif. Si vous n’êtes pas vous-même instituteur ou que vous refusez d’en fréquenter, vous ignorez peut-être l’existence de cette société coopérative, spécialiste de la vente d’ameublement par correspondance, longtemps réservée aux fonctionnaires de l’Education nationale. Après avoir péréclité au début des années 2000, elle se relance en ligne il y a une dizaine d’années en misant sur la durabilité et la réparabilité de ses produits.
‘’Changeons le monde de l’intérieur’’ : c’est son slogan, et c’est un bon résumé de ce qu’est censé être une entreprise à mission. A savoir une entreprise consciente des responsabilités qui sont les siennes, pas seulement à l’égard de ses clients, de ses salariés ou de ses actionnaires, mais de la société dans son ensemble. Dans cette approche, qui va un cran au-dessus de la RSE (la Responsabilité sociétale des entreprises), la recherche du profit devient, si ce n’est secondaire, en tout cas non exclusive : ce qui compte tout autant, c’est l’utilité sociale et environnementale de l’entreprise.
Je vous parlais de petits pas : un grand a été franchi en juin dernier lorsque Danone a adopté ce statut, devenant ainsi le premier groupe du CAC 40 à intégrer les critères de l’entreprise à mission. Il y a quelques jours, c’est un autre grand groupe, bancaire cette fois, qui a rejoint ce cercle : le Crédit mutuel. A l’heure où les banques sont pointées du doigt pour leurs responsabilités dans le financement d’activités fortement carbonées, la démarche vaut d’être saluée.
On pourra bien sûr objecter qu’il s’agit là de démarches opportunistes. Ce serait sans doute injuste, tant le choix des entreprises que je viens de citer parait cohérent avec leur histoire. Le PDG historique de Danone, Antoine Riboud, a ainsi longtemps incarné l’image du patron social, soucieux du bien-être de ses salariés.
Surtout, ce qui est intéressant avec ce statut, qui fait office de label, c’est qu’il oblige à réfléchir plus globalement à l’utilité des entreprises, dans un monde confronté au défi de la transition écologique et solidaire. Le partage des bénéfices, tel que le prévoit le code civil, n’est plus considéré comme une fin en soi : il y a une dimension politique dans le fait d’entreprendre, et –osons un gros mot- une mission de ‘service public’.
Cette sensibilité, encore diffuse dans le milieu entrepreneurial, est-elle davantage répandue dans l’opinion ? Hier, le Journal du dimanche publiait son palmarès 2020 des entreprises préférées des Français. Numéro 1 : Decathlon, devant Peugeot, EDF, Leclerc et Leroy Merlin. Loin devant la Poste ou la SNCF. Le chemin est encore long…
France Culture - LA RANSITION - Hervé Gardette
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