Épisode 1 : Futurs antérieurs, histoire des représentations de l’avenir
Luigi Russolo, La Rivolta (La Révolte), 1911, huile sur toile. Gemeentemuseum, Den Haag, La Haye. |
Nous représentons-nous l'avenir de la même manière que nos ancêtres ? Assurément non : notre conception du futur a beaucoup à voir avec notre présent, nos inquiétudes et nos espoirs contemporains, mais aussi avec notre histoire. Alors, quels points communs entre les futurs d'hier et d'aujourd'hui ?
Le poète Georges Brassens nous avait prévenus : « Il est morne, il est taciturne / Il préside aux choses du temps / Il porte un joli nom, Saturne / Mais c'est dieu fort inquiétant ». Chez les Romains, Saturne est le maître du temps, identifié au titan Cronos, chez les Grecs. Ah ! le temps, quelle chose complexe. Il y a le passé, le présent, le futur, mais nos ancêtres avaient aussi leur passé – qui est aussi le nôtre –, leur présent – qui est notre passé –, et leur propre futur, qui est aussi notre passé. « Il faudra que Saturne en fasse / Des tours d'horloge, de sablier », rappelait avec justesse Brassens. Sans conteste, Saturne est un dieu fort inquiétant. Xavier Mauduit
Depuis le début de la crise sanitaire, il est devenu difficile de se projeter dans l’avenir : qui peut dire ce qu’il fera dans deux semaines, trois mois ou un an ? À l’aube de l’année 2021, cette suspension du cours habituel du temps et de la vie est aussi le moment propice à une réflexion sur notre rapport à l’avenir.
Le futur tel que le pensaient les Grecs, les premiers chrétiens, les penseurs des Lumières ou nos grands-parents n’a rien à voir avec le futur tel que nous l’envisageons (ou du moins l’envisagions !). Le futur a pu être pensé comme une simple répétition du passé ; comme une fin des temps rédemptrice ; comme un monde meilleur atteignable par le progrès technique ; comme une dystopie cauchemardesque... Il y a donc une histoire de l’avenir, de ses représentations, mais aussi des rapports de force au sein des sociétés pour imposer “sa” vision du futur.
Nous en parlons avec nos invités :
François Hartog, historien spécialiste de l’Antiquité et des formes historiques de temporalisation, membre fondateur de L'Association des Historiens,
François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne (Centre Georges Chevrier), spécialiste des sociétés industrielles et de l'histoire des techniques.
Ce qui distingue profondément le monde ancien des mondes modernes c'est que le futur n'excédait pas le passé : On était dans un régime d'historicité tel que la catégorie prépondérante était celle du passé. Ce qui veut dire que quand ils imaginaient le futur, quand ils essayaient de le préparer, quand il reprenait une action, ils commençaient par regarder en direction du passé pour y trouver des précédents, des exemples, des instruments pour y conduire leur action (... ) On était dans un univers où les repères demeuraient, c'est ce avec quoi le monde moderne va rompre, mais, dans l'intervalle, il y a eu le surgissement du christianisme. François Hartog
On note deux phénomènes majeurs au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle : l'expérience de la révolution politique et l'expérience de la révolution industrielle. Deux transformations fondamentales du rapport au monde qui vont entrainer une transformation du rapport au temps avec l'idée que l'on peut se projeter dans le futur d'une façon enthousiaste, positive et confiante parce que les révolutions politiques entre 1789 jusqu'au milieu du XIXe siècle ont montré aux contemporains que l'ordre social, politique, n'était pas quelque chose d'immuable, de naturel mais était aussi le résultat d'une construction. Il pouvait être modifié, chamboulé par l'intervention des humains. Les révolutions politiques sont parallèles à des périodes de mutations économiques, des transformations des fondements matériel du monde qui vont donner de plus en plus de confiance dans la capacité que les sociétés occidentales ont à modeler leur environnement en contrôlant la nature pour produire de l'abondance qui devient le grand mythe moderne à partir du XIXe siècle. François Jarrige
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