"Promouvoir le respect des principes de la République", par Henri Pena-RuizChronique intempestive
Par Henri Peña-Ruiz
Henri Pena-Ruiz, auteur du "Dictionnaire amoureux de la laïcité" (Plon), rappelle les principes généraux qui fondent la République et la laïcité.
Conforter les principes républicains
Parlons donc de ces principes, qui sont aussi des valeurs. Un principe, du latin princeps, est une règle première de la pensée ou de l'action. Il devient valeur, c'est-à-dire ce qui vaut, dès qu'on en reconnaît le bien-fondé et qu'on s'efforce de le défendre. Par exemple le principe de la liberté d'expression s'est imposé comme un marqueur essentiel du débat démocratique. Et il a de la valeur en ce qu'il permet à tous les points de vue de s’exprimer, donc de nourrir au mieux de l'intérêt général la prise de décision. Il intègre aussi une limite, qui est le respect des personnes comme telles, mais pas nécessairement de leurs croyances. Telle est bien la ligne de démarcation au sujet du racisme. Rejeter et caricaturer une croyance est permis. Mais rejeter la personne du croyant ne l'est pas. Il en va de même pour les athées et les agnostiques. Montesquieu, dans L'Esprit des lois, affirme que la force de la République ne lui vient que de la vertu civique des citoyens, ressort de leur volonté de la défendre. Il définit cette vertu par l'amour des lois et de l'égalité. C'est dans cet esprit que j'envisage le projet de loi en discussion pour fonder mes remarques.
Je me permets d'expliciter brièvement les principes et les valeurs que nous lègue notre histoire. En 1789, l'essence de la nation française change radicalement. Les particularismes coutumiers et religieux n'y font plus la loi. La France n’est plus la fille aînée de l'Église. L'Assemblée Constituante promeut un nouveau fondement: les droits de l'homme, bons pour les divers croyants et les humanistes athées ou agnostiques, consignés dans la belle déclaration du 26 août 1789. J'aime en citer d'abord le préambule qui en fait une référence critique pour juger les pouvoirs: "Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale (...) ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme (...) afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés". Vient alors l'article premier, en droite ligne de l'humanisme du droit naturel (jus naturalis) : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". Et plus loin l'article dix fonde l'émancipation laïque: "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi." À l’évidence ces droits ont été conquis à rebours des oppressions. Ils ont donc une portée universelle pour l'émancipation des opprimés.
Le triptyque républicain définit les principes de l'ordre public. Liberté et égalité valent boussoles au sens où ils sont à la fois des buts de la vie commune et des fondements de l'organisation des rapports entre les personnes. La diversité des convictions spirituelles est prise en compte dans un cadre commun unique. La fraternité, sentiment collectif, devra jouer un rôle de charnière entre la liberté et l’égalité, afin qu'émerge un monde commun à tous. Victor Hugo le souligne dans son commentaire où il insiste sur le rôle de la fraternité, "âme de la formule". Lisons-le : « La formule républicaine a su admirablement ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait : la gradation de l’axiome social est irréprochable. Liberté-Égalité-Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là. » Le Droit et la loi (1875). L'historien Gérard Noiriel parle du "creuset français" pour souligner l'importance d'un cadre juridique et politique capable de faire vivre ensemble des personnes de toutes origines. L'unité ne doit pas opprimer la diversité, mais la diversité ne doit pas briser l'unité. Tel est le défi qu'a su relever la République Française grâce à la laïcité. Les trois principes de notre devise permettent de définir la laïcité de façon simple et limpide. La laïcité est l'union de tout le peuple (en ancien: laos) par un cadre juridique construit sur trois principes indissociables : liberté de conscience, égalité de droits, universalité des buts de la puissance publique.
Pédagogie des principes : le rôle des élus et des journalistes
Avis aux élus et aux journalistes contre tout obscurantisme dans le langage employé. Un point parmi d'autres: un langage universaliste est nécessaire pour faire comprendre les principes. Ceux-ci fondent des règles qui s'appliquent à tous. Ils n'ont donc rien de stigmatisant. Voici des exemples de la nécessité de dire les choses avec rigueur. Il ne faut pas parler de la "loi sur le voile" à propos de la loi de 2004, mais de la loi sur les signes religieux, ni de "mamans voilées", mais de personnes encadrant les sorties scolaires etc. La rigueur dans les termes relève ici du principe de responsabilité: il s'agit d'éviter toute stigmatisation du fait de formulations inexactes. Le point de vue universaliste, et le langage qui lui correspond, sont essentiels pour contrer tout différencialisme. Tant celui de l'idéologie du Rassemblement National, qui tend à opposer le "nous" catholique au "eux" musulman, que celui de la mouvance décoloniale, qui ose qualifier la laïcité de "racisme d'État" alors que la loi de 2004 interdit tous les signes religieux, et non pas un seul. Résumons. Trois boussoles permettent de prendre position sur les cas concrets : universalisme, égalité de droits, intérêt général.
L'État n'a pas à s'occuper de théologie
L'État laïque ne peut se comporter comme un mécène des religions, même pour les contrôler. L'égalité de droits des divers croyants et des athées, mais aussi le financement prioritaire de services publics d'intérêt général, commun à tous, ne doivent pas être bafoués. Dans un état de droit républicain, c'est par la loi que l'on contrôle et non par la subvention. Payer l'orchestre pour dicter la musique n'est pas digne d'une république, qui prétendrait ainsi acheter l'obéissance à ses lois. La République n'a pas à se mêler de théologie mais simplement à faire appliquer des lois communes capables de dissuader les religieux de toute tentation de transgression de l'ordre public. C'est aux fidèles des différentes religions de veiller à ce que la pratique de leurs cultes respectifs s'inscrive dans les limites fixées par l'état de droit.
Rappelons que les religions qui ont sacralisé le patriarcat et les pratiques machistes qui en découlent ont dû ou doivent faire leur aggiornamiento pour s'en déprendre et renoncer à élever la loi religieuse au-dessus de la loi de l'État. Dans leur dimension émancipatrice, les principes laïques se heurtent frontalement aux préjugés sacralisés par les intégristes, mais mis à distance par la raison critique de nombreux fidèles. La puissance publique ne doit pas s'effacer, mais rester intransigeante sur l'unité de loi du pays. Le refus du multiculturalisme qui enferme dans la différence n'est pas liberticide. Il renforce la dimension émancipatrice des principes républicains. Que ceux-ci soient rejetés par les tenants de traditions rétrogrades et les religieux nostalgiques de leurs privilèges perdus n’a rien de surprenant.
Bref écartons la tentation néo-gallicane de s'immiscer dans la définition des doctrines théologiques et confions à la loi commune le soin de prévenir toute mise en cause de l'ordre public entendu comme codification des droits fondamentaux de l'être humain. L'État laïque ne doit pas se mêler de théologie, mais définir a priori, par les lois communes, le cahier des charges que doit respecter toute conviction spirituelle dans la façon dont elle se manifeste dans la société. Fondée sur le respect des droits et un projet d'émancipation universaliste, cette exigence n'a rien de liberticide.
4 - Quelles réformes ?
- Il est bien d'interdire la polygamie et les certificats de virginité, comme d'ailleurs l'excision du clitoris. Il faut veiller à le faire non au nom d'une culture particulière qui rejetterait les pratiques d'une autre culture, mais au nom de droits humains universels, comme l'égalité des sexes et l'intégrité physique de la personne. Il est bien également d'assortir tout financement public d'une exigence de conformité aux lois de la République et de respect des règles qui en découlent.
- Il n'est pas acceptable de permettre aux associations cultuelles d'avoir des immeubles de rapport. Ce financement indirect viole la loi de 1905 qui assigne à ces associations le seul culte, et rien d'autre. C'est aux fidèles et à eux seuls de financer leur culte. On n'achète pas le civisme. On le suscite à la fois par l'instruction comme fondement du jugement autonome et par des exigences promues par des lois. Quand l'imam Bouziane, au cours d'un prêche dans la mosquée de Lyon, recommande aux fidèles de battre les femmes adultères, il commet un délit d’incitation à la violence que la loi permet de réprimer comme il le mérite.
- Le souci de soustraire les enfants à l'emprise de l'intégrisme religieux est louable. Mais le fait de rendre obligatoire la scolarisation dans les établissements scolaires risque de se heurter au principe constitutionnel de la liberté d'enseignement. Il serait préférable de renforcer le caractère national des programmes et des examens afin qu'ils soient des normes incontournables, donc des obstacles efficaces aux inculcations de croyances en lieu et place d'une authentique instruction.
- Il faut abroger le concordat d'Alsace-Moselle, qui maintient des privilèges pour les religions avec l'argent des contribuables de toute la France. Les familles athées sont obligées de demander une dérogation pour dispenser leurs enfants du cours de religion. Et l'argent public consacré aux salaires des ecclésiastiques constitue un privilège anachronique, attentatoire au principe républicain d'égalité.
- La neutralité des personnes qui encadrent les sorties scolaires est une urgence. Pourquoi? Le Code de l'éducation précise que ces sorties ont une finalité pédagogique et éducative. Elles relèvent donc de la déontologie laïque. Pour en parler, il faut veiller là encore à son langage. Pas de "mamans voilées" ou de "papa à kipa". Le lien de parenté ne fait rien à l'affaire. parlons de collaborateurs du service public, remplissant une fonction d'encadrement. L'enfant devenu élève se voit offrir ainsi une deuxième vie, qui élargit son horizon. L’École publique accueille des êtres mineurs donc vulnérables, et se propose de les instruire pour en faire des citoyens libres, maîtres de leur jugement. Elle doit donc les protéger contre tout type de prosélytisme et aussi contre toute atmosphère conflictuelle qui pourrait surgir entre des manifestations de sens contraire. Le respect de leur liberté comme de la diversité des convictions de leurs familles exige donc la neutralité des personnels d’encadrement, qu’ils encadrent ou qu’ils enseignent. Une telle règle n’a rien de discriminatoire car elle s’appliquerait uniformément à des personnes qui prétendraient encadrer des voyages scolaires avec une kippa, un voile, une grande croix ou un tee-shirt mentionnant « ni Dieu ni maître ». La France est une terre d’accueil, ouverte à la diversité des traditions et des convictions. Avec la laïcité elle n’a pas voulu combattre la religion, mais promouvoir par la neutralité un égal respect de toutes les convictions. Elle fournit ainsi une double garantie : pour les enfants mineurs, dont la liberté de conscience est sauvegardée, et pour les familles qui confient leurs enfants à l’institution scolaire, en ayant l’assurance qu’ils ne subiront aucune manifestation prosélyte
Qu'on me permette ici une anecdote personnelle pour montrer que l'exigence de neutralité, dans des cas délimités et bien définis, n'a rien de raciste ni de hors-sol. Il y a trois ans, à Bagnolet (93), j'ai présenté un exposé sur le sens de la laïcité. J'y ai évoqué le sens de la déontologie laïque, qui fait obligation à tous les personnels d'encadrement des élèves de respecter la neutralité dans leur tenue vestimentaire non par brimade arbitraire, mais parce que c'est le seul moyen de ne pas blesser un élève attaché à une conviction spirituelle distincte de celle qui serait mise en avant par la personne qui encadre. Une mère de confession musulmane me demande alors quel inconvénient il y a à manifester sa religion par un voile. Voici ma réponse. "Accepteriez-vous que votre enfant, après avoir été élevé dans la religion musulmane, soit encadré par un homme qui porte une kippa, ou un tee-shirt stipulant "ni dieu ni maître" ? "Non! " La réponse est vive et je la comprends. Je fais alors observer à la mère de confession musulmane qu'elle vient de découvrir elle-même, par son refus, ce qu'on éviterait à tous les enfants-élèves par le respect de la neutralité vestimentaire, qui ne vise aucune conviction particulière. La personne a esquissé un sourire, puis m'a dit qu'elle comprenait et approuvait la règle laïque…N'inflige pas à autrui ce que tu ne voudrais pas subir.
- Il faut réactiver la République sociale, à rebours d'un néolibéralisme obsédé par la réduction de la dépense publique. Les services publics qui rendent accessibles à tous les biens de première nécessité rendent crédibles les principes républicains en leur donnant chair et vie. Je rejette toute culture de l'excuse mais chacun peut comprendre que la déshérence des services publics dans certaines banlieues affaiblit l'image de notre République. Jaurès le soulignait avec force en liant la République sociale et la République laïque. Autant dire que la politique néo libérale qui conjugue la destruction des services publics et le creusement abyssal des inégalités doit être abandonnée si l'on veut vraiment susciter le respect des principes républicains.
Marianne : Henri Pena Ruiz - 19.01.21
#laïcité
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