Comment les Français vivent-ils le déconfinement après une longue période de privation sociale ? Quel sera le monde de demain ? Boris Cyrulnik nous livre sa vision d'avenir ....
Boris Cyrulnik |
Les Français ont été confinés et sont maintenant progressivement déconfinés, avec de nouvelles règles de vie. Trouvez-vous que nous nous adaptons bien à tous ces changements et toutes ces recommandations sanitaires ?
Dans l’ensemble, je trouve que les Français suivent plutôt bien les règles sanitaires et sociales. Dans un premier temps, avant le confinement du 17 mars, le gouvernement a énoncé des recommandations pour faire face au Covid-19, mais sans faire peur aux gens… Donc elles n’ont pas vraiment été respectées au départ. Puis il y a eu l’annonce du confinement, directement suivie de cette incroyable maladresse – selon moi – du premier tour des élections municipales ; alors les Français ne se sont toujours pas trop inquiétés, car le gouvernement leur demandait d’aller voter en leur précisant de faire attention. Cela paraissait assez contradictoire. Je n’en suis pas certain, mais je pense que le Sénat a imposé au président le maintien du scrutin… À mon avis, ce n’était pas une bonne idée sur le plan symbolique. Ensuite, le gouvernement s’est montré beaucoup plus alarmant, et j’ai été étonné de voir comment les gens ont bien respecté les règles, tout de suite.
Pourquoi avez-vous été étonné ?
En général, les Français sont assez indisciplinés et sont connus pour ça… On dit que les Allemands et les Chinois sont disciplinés, mais pas les Français. Alors que là, pendant le confinement, nous avons été presque irréprochables et cela a joué un rôle prépondérant dans le contrôle de l’épidémie ; on ne sait pas soigner le virus, mais on a bien maîtrisé l’épidémie. Et puis je pense que la date du déconfinement a été bien choisie, malgré toutes les controverses. Pourquoi ? Il fallait confiner la population pour arrêter la propagation du virus, mais si on avait prolongé le confinement, il y aurait eu plus d’effets secondaires néfastes que de bénéfices. Et en médecine et en santé, quand il y a plus de préjudices que de bénéfices, eh bien, on ne prescrit pas le « traitement » !
Pour les effets secondaires, je suppose que vous faites allusion à toutes les personnes qui se sont retrouvées dans des situations matérielles, physiques ou psychologiques difficiles pendant le confinement et qui en ont beaucoup souffert ?
Oui, les conditions du confinement étaient telles que cela nous a protégés du virus. Mais dès les premiers jours, on a observé un effet néfaste remarquable : la violence conjugale, voire familiale. Celle-ci est relativement contrôlée en temps normal, quand le couple ou les membres de la famille se séparent toute la journée pour aller travailler, voir d’autres personnes et simplement mener leur vie. Mais le confinement a provoqué deux effets : une augmentation du temps passé ensemble et une privation du regard social, terreaux de l’agressivité. Statistiquement, dans la violence conjugale, c’est 80 % d’hommes agresseurs et 20 % de femmes ; c’est un point faible de la condition humaine et une des premières manifestations visibles du confinement.
Ensuite, il y a eu, il y a, et il y aura encore, pendant des mois, voire des années, des conséquences psychologiques de tous ces changements de vie, auxquels nous devons nous adapter. Troubles du sommeil, anxiété, isolement, dépression, addictions, stress post-traumatique… Surtout pour les personnes qui avaient acquis, avant le confinement, des facteurs de vulnérabilité : mauvaise maîtrise du langage, mauvaise socialisation, donc « petit » métier et souvent « petit » logement. D’où une « hyperdensité » du confinement. Or on sait aujourd’hui en éthologie que l’hyperdensité est un stimulus de stress constant, donc un facteur de violence. Même dans un couple qui fonctionne bien ou entre des individus qui ne souffrent d’aucune pathologie, l’hyperdensité augmente l’agressivité.
À l’inverse, les individus qui, avant le confinement, étaient bien socialisés et avaient acquis des facteurs de protection – bonne maîtrise du langage, diplôme, donc « bon » métier et souvent grand logement – n’ont pas beaucoup souffert du confinement. Voire l’ont apprécié. Beaucoup d’amis me disent qu’ils en ont profité pour se reposer, augmenter le télétravail, se remettre à la guitare… et ils craignent peu le déconfinement. Donc ces gens-là vont s’en sortir sans traumatisme, contrairement à ceux ayant des facteurs de vulnérabilité !
Propos recueillis par Bénédicte Salthun-Lassalle
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