«Cet été, les Français vont goûter au suc de l’existence»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Après les semaines difficiles de confinement, il y a un parfum de «temps des copains» dans l’air, de lâcher prise. Avec son essai «Paris-Berry Nouvelle vague», Thomas Morales nous encourage cet été à retrouver l’appétit de vivre, les éclats de rire, la grosse tambouille, la farce bistrotière, Gérard Depardieu et Romy Schneider.
Par Marine Carballet
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Les acteurs Christian Clavier, Gérard Depardieu et le modèle Laeticia Casta posent pour la promotion du film «Asterix et Obélix». wallpaperflare.com / CC |
Thomas Morales est journaliste, passionné de cinéma, il partage sa vie entre Paris et les bords de Loire. Ce Berrichon de naissance a publié une quinzaine d’ouvrages, et il a écrit pendant le confinement Paris-Berry Nouvelle vague aux éditions de La Thébaïde.
FIGAROVOX.- Le confinement a-t-il été l’occasion de savourer autrement votre campagne berrichonne natale et votre passion pour le cinéma?
Thomas MORALES.- Ce moment hors du temps a été finalement une confirmation de mes attaches berrichonnes. Une validation charnelle! Je suis né quelque part et je n’en ai pas honte. Je suis resté fixé à mon terroir et à ma province. J’ai horreur de la novlangue des technocrates qui parlent de «territoires», c’est une insulte à ma terre d’origine, une distanciation qui fait abstraction de mes émotions, qui trahit mon passé, qui annihile ma famille. Et je suis un homme resté fidèle à la mémoire des siens. Un fils unique respectueux, un bon garçon qui ne veux pas détruire le père ou le grand-père, je suis désolé, c’est d’un classicisme suspect aujourd’hui où l’on doit faire absolument repentance. Je suis un écrivain sentimental, dès que je remets les pieds dans mon Berry, je communie avec le souvenir de ma grand-mère, négociante en vins et lectrice érudite, je la revois au volant de sa 2CV fatiguée ou dans sa bibliothèque me parler de Chateaubriand et de Kessel. Je repense à cette France simple, travailleuse, cultivée, curieuse et éternelle. Elle sent le tanin et la glycine. La vue des vignes et au loin cette Loire sauvage, insoumise et mélancolique me ravit et m’enchante. J’y puise ma nostalgie et aussi mon amertume.
La lecture n’enferme jamais, elle est indispensable à une bonne respiration, à une bonne ventilation de l’esprit.
Mon caractère instable a trouvé refuge dans les départements ruraux, les grands oubliés de la République, ceux des écoles à classe unique, ceux de la désertification galopante et des prés recouverts de givre, un matin d’automne. C’est une maladie dont on ne guérit jamais, vous savez, une maladie d’enfance qui vous serre le cœur, qui, à quarante-six ans, vous (ré)inscrit profondément dans une nation fragile. J’aime les mots «départements» et «province», ils sonnent juste comme dans une chanson de Michel Delpech. Ce retour obligé à la campagne m’a fait replonger dans ma bibliothèque et ma filmothèque. J’étais un homme heureux, épanoui, la mort rôdait autour et je me sentais protégé au milieu des livres et des films. J’avais conscience de ma chance et du caractère aussi comique de cette situation incongrue. Certains diront que c’était une protection factice, une pellicule un peu snob, je peux, aujourd’hui, affirmer le contraire. Durant deux mois, j’ai beaucoup lu, écrit, visionné, ça m’a rendu plus fort et paradoxalement moins hermétique à la douleur des autres. La lecture n’enferme jamais, elle est indispensable à une bonne respiration, à une bonne ventilation de l’esprit. Cette période m’a obligé surtout à réfléchir sur l’acte d’écrire. Sa misère et son éclat. Son caractère profondément injuste et magnifique. Et j’ai pu assouvir ma passion du cinéma «populaire», celui de Philippe de Broca, d’Henri Verneuil, de Jean Carmet, de Jean-Paul Belmondo et de Marthe Keller. Ma mythologie s’est mise en place naturellement. J’ai déroulé la pelote de mes souvenirs. «Paris-Berry, nouvelle vague» est le condensé de cette échappée intérieure.
Que nous a appris cette vague de Covid-19 sur le goût des Français en matière de cinéma?
Nous avons assisté à un retour des fondamentaux. Une leçon de choses. Comme si trente ans de propagande se désagrégeait dès la première semaine de confinement. Un camouflet pour la critique institutionnelle et les groupes de pression qui ont œuvré à l’éradication de la comédie française de la mémoire officielle. De Funès sort tout juste du purgatoire. Il y a une forme d’indécence de la part de certains médias avant-gardistes à se réapproprier sa filmographie «lyrique» alors qu’ils n’ont cessé de vouloir l’abattre ou de la rabaisser.
Quand les Français vont mal, ils reviennent aux racines, à l’enfance, au cocon protecteur, à Bourvil, Noiret, Rochefort, Sautet, Poiret, Ventura, Romy, Audiard ou Delon.
Quand les Français vont mal, ils reviennent au port, aux racines, à l’enfance, au cocon protecteur, à Bourvil, Noiret, Rochefort, Brasseur, Dabadie, Sautet, Girardot, Poiret, Ventura, Romy, Audiard ou Delon. Que c’est bon et réconfortant de les revoir tous là, réunis dans leur beauté aveuglante et leur délicatesse d’antan. Ils ont été nos sauveurs. Nos premiers de cordée. Le lien qui nous unit à eux est indestructible. Notre Patrie, c’est eux! Les Français ont retrouvé, avec bonheur, le cinéma de papa, celui de dimanche soir, que j’appelle immémorial et épidermique. L’identité de notre pays se niche dans ces interstices-là. Un scénario solide, des dialogues pétillants et une image léchée. Évidemment la comédie s’est substituée aux drames sociaux et accusateurs. Les Français ont adhéré à cette image fantasmée, c’est-à-dire à moitié fausse et énamourée, donc indispensable à notre survie. L’esprit de sérieux que je fustige depuis une quinzaine de livres a volé en éclats. Prenez Jean Carmet que je considère comme un acteur de premier plan, il suffit de le voir dans n’importe quelle comédie d’Yves Robert, par exemple, pour tomber en amour. Tout me séduit chez lui: son jeu subtil et équivoque, l’introspection et la gloriole, le rire taquin et la solitude qui ne se guérit pas. On hésite entre l’éclat de rire fracassant et cependant les larmes perlent déjà sur notre visage. Nous sommes émus, déstabilisés et joyeux. C’est somptueux. Carmet travaille dans l’organdi. Revoyez «Le Sucre» de Jacques Rouffio pour être saisi par sa majesté. Je pèse mes mots, il est grand, immense, toujours sur la crête, déplorable et fascinant, nous sommes du côté de Cervantès et de François Villon, ce spectacle-là est un don de dieu.
Votre dernier essai «Paris-Berry, nouvelle vague» est à mi-chemin du journal littéraire et de la boîte à nostalgie, à quelle famille appartient-t-il exactement?
C’est un ouvrage hybride. Il peut désarçonner car on est à la fois dans la malle aux trésors et la confidence. J’aime ce pas de deux. Cette désinvolture élégante. Je crois que la littérature, la plus originale et malicieuse ne se trouve pas dans les ouvrages sérieux. Ils sont trop fades, trop calculés, trop évidents, ils manquent de chaleur et d’élan. J’ai toujours aimé les mélanges audacieux, le savoir et la gaudriole, l’infiniment petit et le spectacle grand public, je déteste les niches et les cases. Alors, oui, j’aime Albert Cossery, Jean Follain, André Hardellet, Pierre Luccin, des écrivains délicats et méconnus, à la prose acide et tendre, j’ose l’impensable, les mélanger, les marier à mes états d’âme du moment, à ma passion des automobiles de caractère, aux émissions de télévision de ma jeunesse et à mon commentaire passablement énervé de l’actualité.
Ma seule religion est le plaisir du lecteur.
Je fais un clin d’œil aux Hussards et aux cossards. Je demeure un chroniqueur de l’éphémère. Un artisan de la phrase. Ce qui me passionne et m’anime depuis plus de vingt ans, c’est la justesse et la fluidité des mots. Avec le rythme, le tempo entraîne les malotrus. D’où ma vénération pour les chanteurs de Soul Music. Un chroniqueur est un sportif lexical. Il se bat, chaque matin, avec la page blanche. Il a le devoir de faire briller la phrase, de lui donner cette tournure qui enivre et rassérène. J’aime les formules nouvelles et clinquantes. Je m’astreins donc à cette discipline de fer. Écrire, chaque jour, un billet avec un angle inhabituel, si possible drôle et spirituel, cette gymnastique de l’esprit est mon footing quotidien. J’ai horreur des survêtements alors je préfère pianoter sur mon clavier d’ordinateur en blazer de tweed. «Paris-Berry, nouvelle vague» aux éditions la Thébaïde est le témoignage d’un professionnel de l’écrit qui voit son monde s’effondrer et qui tente de le retenir par sa plume. C’est vain et grandiloquent. Ce chroniqueur sait que le combat est perdu d’avance, il est d’autant plus émouvant. J’ai une vision chevaleresque du billet d’humeur. Humblement mais sûrement, je me place dans le sillage de Vialatte ou de Bernard Frank. Ma seule religion est le plaisir du lecteur. Qu’il soit d’accord avec moi est accessoire, je m’en fiche, je ne suis pas un idéologue, je veux lui bloquer le cervelet par un agencement croustillant. Ça suffit à mon bonheur! L’amuser n’est pas pour me déplaire également.
L’horizon se pourvoie d’incertitudes et les Français ont besoin de simplicité pour l’été 2020? De «se griller une merguez dans un coin de campagne retirée avec des copains autour d’une bouteille de rosé» ?
Je crois que les Français sont complexes par jeu. Ils recherchent toujours l’impossible. Ils aiment la contradiction et le débat d’idées. Ils cultivent les paradoxes. Plus on leur fait la morale, plus ils se réfugient ailleurs, dans le rire grivois, la farce ou la poésie. Ils sont insaisissables par nature et par provocation. Après les semaines difficiles que nous venons de vivre, il y a un parfum du «temps des copains» dans l’air. De «lâcher prise». À quoi aspire-t-on? Simplement goûter le suc de l’existence. Retrouver nos proches, partager une côte de bœuf au barbecue, embrasser une femme qu’on aime, danser sur un slow d’Adriano Celentano, se remémorer des vacances à Porspoder dans les années 80, déconner et rouler décapoté sur une route déserte. L’année dernière, j’ai écrit «Un été chez Max Pécas», je veux retrouver cette insouciance-là. Faire marrer mes amis, faire l’intéressant comme disait ma grand-mère, oui exister un peu dans une société qui combat la légèreté et le flirt.
J’envie aux yéyés cet appétit de vivre qui manque parfois à ma génération née dans les années 1970.
Vous rendez hommage à deux artistes décédés pendant le confinement, Uderzo et Christophe qui, quelque part, ont su réunir les Français, de toutes générations et de tous milieux?
Les grands artistes n’ont pas besoin d’un mode d’emploi. D’une fiche signalétique. D’un argumentaire universitaire. Ils n’avancent pas masqués. Ils sont là, et on tombe sous leur charme vipérin. Ils transgressent les classes sociales. Leur charisme est leur passeport. La disparition du chanteur Christophe aura été une onde de choc. Ce baby-boomer au style impeccable, esthète du talon-pointe, oiseau de nuit et alchimiste des sons, aura abattu tous les murs. Toutes les castes. On l’aime pour son timbre, sa présence, ses tubes, ses voitures américaines et surtout, sa capacité à repousser le réel, il réussissait à s’extraire de la banalité. Il faisait barrage à la médiocrité. Il était plus fort que nos peurs. Ma tendresse est immense pour lui. Car il avait l’âge de mon père, de mes oncles. Les idoles des yéyés me sont familières, j’ai été élevé dans la musique de Fats Domino et des mécaniques Porsche. Je leur envie cet appétit de vivre qui manque parfois à ma génération née dans les années 1970. Quant à Uderzo, lui aussi amateur de belles mélodies italiennes à douze cylindres, c’est ma rente Pinay. Tout peut bien s’écrouler, son dessin nous accompagnera toujours, il est une bouée de sauvetage dans un monde qui a chaviré. J’en ai fait l’expérience durant la pandémie. Nous avons été nombreux à relire Astérix et avoir chaud. De cette chaleur qui protège et cajole l’âme. Qui aura eu un effet aussi protecteur qu’Uderzo sur notre état de santé?
Faut-il considérer que dans le monde d’après, l’âme des yéyés, les bikinis ravageurs, la promiscuité du slow et le bol de cacahuètes partagés seront de l’histoire ancienne?
Je refuse ce monde cadenassé, apeuré, morcelé et sentencieux qui déboule avec sa gueule satisfaite. Je crois que d’une certaine façon, l’esprit des Yéyés est un bon antidote à notre morosité. Je veux croire à l’amour terrassant toutes les rigidités morales, aux voitures carrossées comme des fruits défendus, aux livres qui n’instrumentalisent pas l’intelligence, aux chansons d’été qui aimantent les corps, aux beaux mecs, aux belles filles, au monokini crâneur, à une France décorsetée et flamboyante.
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