Le Covid-19 provoquait un choc pétrolier entre mars et avril. Le monde d’après va-t-il apprendre à s’affranchir de l’or noir ? Nous avons posé la question à la climatologue Corinne Le Quéré et à l’économiste Joseph Stiglitz.
Extraits.
C’est un "petit virus" qui a mis l’industrie pétrolière à genoux. Lundi 20 avril, à New-York, le cours du baril de pétrole brut (159 litres) tombait à -37,63 dollars. Du jamais vu : le baril de brut new-yorkais n'était jamais tombé sous le seuil des 10 dollars depuis sa création en 1983.
Derrière ce prix négatif aberrant, un mécanisme économique très simple : le ralentissement de l'économie mondiale a drastiquement fait chuter la demande d’or noir, mais la production, elle, n’a pas suivi.
Quelles conséquences ces deux crises – sanitaire et pétrolière – peuvent-elles avoir sur notre dépendance aux énergies fossiles ? Et, plus largement, sur notre modèle de production ?
We Demain s’est entretenu avec Corinne Le Quéré, présidente du Haut-Conseil pour le climat, et Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie 2001.
We Demain : Quel impact cette chute du prix du pétrole pourrait-elle avoir sur les politiques de relance ?
Corinne Le Quéré : Ce faible prix a trois inconvénients pour la transition : il rend les énergies renouvelables moins compétitives ; il peut accroître les émissions "importées" de la France, en raisonde laforte incitation à consommer pour les pays dont les émissions ne sont pas limitées par des engagements ; il masque les difficultés structurelles du secteur pétrolier et donc l’enjeu de sécurité énergétique pour la France. Car s’il faut réduire les émissions nationales de GES, il faut aussi réduire le plus rapidement possible notre dépendance au pétrole et au gaz. Cela doit être intégré aux mesures de relance, en dépit du bas prix du pétrole.
Pour le moment, ce prix faible permet de reconvertir les exemptions fiscales et autres subventions aux énergies fossiles. Et il souligne l’urgence d’établir un prix plancher au système européen d’échange de quotas carbone, pour que le signal prix ne s’écroule pas durant la crise.
Cette crise sanitaire dramatique ne va-t-elle pas nous obliger à repenser le capitalisme ?
Joseph Stiglitz : Elle va nous faire profondément réfléchir à notre modèle. Dans tous les pays capitalistes, nous allons devoir prendre conscience de notre grave sous-estimation de l’importance du rôle de l’État, des services publics, de l’action collective, de l’aspect protecteur de la communauté, de notre dépendance à la recherche, des dispositions de la santé pour tous, de la lutte commune contre le changement climatique.
Nous allons devoir réfléchir à la profonde décomposition du capitalisme. Trop égoïste, trop obsédé par le marché et le profit à court terme, trop dépendant du monde des actionnaires, trop inégal. On a besoin de perspectives plus sociales, plus collectives, et inévitablement de plus fortes régulations, tant financières qu’écologiques.
On le voit aujourd’hui, le capitalisme tel qu’il a évolué ne fonctionne plus. C’est criant dans le domaine environnemental, avec toutes ces compagnies pétrolières qui causent d’énormes dégâts écologiques sur la planète et dans les océans, sans cesser d’amasser les profits, alors que le fardeau des risques et des nuisances est à supporter par le public.
Les industries minières sont elles aussi dans le déni des effets négatifs de leur exploitation des ressources géologiques, elles persistent à nier le réchauffement climatique et tentent d’en persuader le public en soudoyant de prétendus « experts ». Ce comportement me rappelle celui des compagnies de cigarettes, qui connaissaient l’extrême dangerosité de leurs produits, mais l’ont niée des années durant. Moi, j’appelle cela de la turpitude morale. La crise du capitalisme est autant morale qu’économique. On va voir en 2020 ce que vont nous dire les capitalistes qui ont précipité la crise de 2008 !
Entretien : Antoine Lannuzel / Frédéric Joignot I Publié le 16 Juillet 2020
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