L’auteur de 1984 et de La Ferme des animaux fait son entrée dans la Pléiade, dans une période où son œuvre se révèle particulièrement éclairante…
Soixante-dix ans après sa mort, George Orwell intègre la prestigieuse collection des Éditions Gallimard. Le timing est bien choisi. Car, si l’écrivain britannique a été qualifié de visionnaire, son œuvre n’a jamais paru si actuelle tant l’année 2020 a de faux airs de 1984. Déjà, après l’annonce du premier confinement, en mars dernier, les recherches liées à la célèbre dystopie avaient explosé sur Google tandis que sur Twitter apparaissait le hashtag #Covid1984. Aujourd’hui, l’adjectif «orwellien» continue à être convoqué pour dénoncer les privations de liberté.
George Orwell . ©Rue des Archives /SPPS |
Publié en 1949, écrit pendant la guerre, 1984 se lit comme un roman d’anticipation, mais aussi comme une critique des régimes soviétique et nazi. Le lecteur est plongé dans un monde totalitaire gouverné par un «Big Brother» qui s’insinue dans les consciences. Le crime de la pensée est passible de mort, et la réalité est dictée par la novlangue d’un parti unique et par son ministère de la Vérité. But: créer un homme nouveau docile et malléable.
Nous n’en sommes pas là. Aussi discutables qu’elles soient, les mesures sanitaires se présentent comme temporaires et ont avant tout pour objectif de protéger du virus. Mais leur accumulation et leur application autoritaire font réfléchir. Et certains thèmes abordés par Orwell renvoient à notre présent. De la République des attestations et du traçage à la société de surveillance de masse, il n’y a qu’un pas, que la Chine a déjà franchi avec ses caméras à reconnaissance faciale. Quant aux Gafa, dont la toute-puissance devrait s’affirmer à l’issue de cette pandémie, ne sont-ils pas les «Big Brother» sans visage du XXIe siècle?
Au-delà de la situation créée par la crise sanitaire, les parallèles avec notre époque interpellent et nous sur un possible retour du totalitarisme sous une nouvelle forme. L’omniprésence des «télécrans» semble préfigurer nos tablettes et smartphones. «Les minutes de la haine», qui consistent à vilipender quotidiennement un bouc émissaire, peuvent être rapprochées du fonctionnement des réseaux sociaux. L’effacement et la réécriture de l’Histoire, pour coller aux intérêts et à l’idéologie du Parti, annoncent le déboulonnage des statues et, plus largement, lacancel culture à l’œuvre dans les facs américaines. Enfin, l’oligarchie décrite dans 1984 ressemble à s’y méprendre aux «élites» dirigeantes contemporaines: «Une nouvelle aristocratie constituée de bureaucrates, de savants, d’organisateurs de syndicats, d’experts en publicité, de sociologues, de journalistes et politiciens professionnels»...
Mais si 1984 occupe une place à part dans l’œuvre d’Orwell, l’un des mérites de ce volume, dirigé par Philippe Jaworski, est de faire découvrir au néophyte des textes plus méconnus: En Birmanie, son premier roman, s’inspirant de son expérience d’officier des forces de l’ordre dans ce pays, et où il fustige le colonialisme britannique ; Le Quai de Wigan, formidable reportage où il partage le quotidien des mineurs du nord de l’Angleterre ; Hommage à la Catalogne, récit de son engagement dans la guerre civile espagnole au cours de laquelle il se bat contre les franquistes, avant de prendre ses distances avec la gauche marxiste. Ce qui frappe, malgré l’apparente diversité des sujets, c’est la cohérence de son œuvre et de son parcours. Anticolonialiste dans les années 1920, puis antifasciste et anticommuniste dans les années 1930 et 1940, Orwell n’a eu de cesse de combattre les orthodoxies et les dogmatismes et de se placer du côté des opprimés. 1984, son dernier livre, est l’aboutissement d’une longue réflexion sur le totalitarisme. Méfiant à l’égard des intellectuels et de leurs théories, Orwell s’est tenu au plus près des hommes ordinaires dont il voyait dans les valeurs simples, ce qu’il appelait «la décence commune»: le meilleur antidote aux folies idéologiques.
Œuvres, de George Orwell, Bibliothèque de la Pléiade, sous la direction Philippe Jaworski, 1 600 p., 66 €.
Par Alexandre Devecchio
Le Figaro
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