Prise d'otages, extorsion de fonds, conflit social... Ces deux experts en situations de crise sont appelés à négocier dans le monde entier.
Avant d'ouvrir en 2013 votre agence de négociation, vous avez exercé ce métier chacun de votre côté. Dans quel cadre ?
Laurent Combalbert : J'ai été formé aux États-Unis au sein du FBI par Gary Noesner (négociateur de la prise d'otages de Waco en 1993). Ensuite, j'ai intégré le Raid (unité d'élite de la police nationale, ndlr). Pour les Américains, négocier, c'est appliquer une méthode ultra-rigide. Au Raid, je me suis aperçu qu'une bonne négo supposait davantage l'improvisation, assise sur une grande préparation en amont.
Marwan Mery : J'ai une formation de négociateur dans la grande distribution. Des deals commerciaux à hauts enjeux, entre les fournisseurs et les distributeurs. Des négos souvent violentes, au cours desquelles j'ai été séquestré plusieurs fois...
Négocie-t-on de la même façon quand des vies sont en jeu ?
L. C. : Quand une vie est en jeu, dans une prise d'otages, par exemple, la performance n'est pas négociable : on doit être bon. Mais quand une crise menace de faire perdre à une entreprise 25 % de son chiffre d'affaires et les emplois qui vont avec, on peut aussi parler d'enjeu vital.
Vous dites aussi former des médecins à la négociation...
L.C. : Pour leur expliquer quoi faire face à un patient qui refuse de prendre ses médicaments, des immunosuppresseurs après une greffe, par exemple. On les forme à leur demande ou à celle de labos pharmaceutiques.
Négociateur, profession en vogue ?
L.C. : Oui. Nous formons des gens destinés à devenir des référents "négociation" dans les entreprises. Bientôt il y aura un service négociation, comme il y en a un financier, juridique ou marketing.
Vous avez publié des livres qui proposent une méthodologie de la négociation. Ça ne complique pas votre travail ?
L.C. : Si tout le monde savait négocier, les conflits se régleraient plus pacifiquement, et on changerait le monde. C'est pour cela aussi que bénévolement, on va dans les écoles pour apprendre aux enfants à observer ce qui se passe dans la cour de récré, à réagir en cas de bagarre, par exemple. Pour ça aussi que l'on forme des négociateurs auprès de l'ONU, pour qu'ils obtiennent l'ouverture de lignes de front afin de faire passer du ravitaillement ou des soins.
M. M. : Une fois, on avait réuni dans la même pièce la DRH et les représentants syndicaux d'une entreprise pour les former ensemble à la négociation. La première heure, c'est parti en vrille, mais en fin de journée, les syndicats nous ont dit : "On s'est rendu compte qu'on ne savait pas négocier."
Vous apparaissez à visage découvert : n'est ce pas risqué ?
M. M. : On a eu des menaces, des trucs pas possibles dans nos boîtes aux lettres, mais j'ai aussi le cas d'un forcené qui m'a remercié à la fin de l'opération de l'avoir fait sortir par la négociation. Il m'a dit : "Sinon je serais mort."
Quelqu'un qui n'a rien à perdre, c'est le cauchemar du négociateur ?
M. M. : Quand vous êtes face à un extrémiste décidé à aller jusqu'au bout, donc à mourir, c'est compliqué, oui. Notre job c'est de vérifier s'il est vraiment suicidaire ou si son enjeu est autre.
Quand vous négociez par téléphone avec des forcenés, quel enseignement tirez-vous de leur voix ?
M. M. : Il faut être attentif aux mots, à leur place, au temps de latence avant une réponse... Détecter un mensonge en observant que le forcené mélange les temps... Percevoir ces signaux, c'est se donner dix longueurs d'avance.
Vous servez-vous de votre expertise dans la vie de tous les jours ?
L.C : Généralement, quand le banquier voit "Profession : négociateur", il n'essaie pas de négocier ! D'autres nous font des concessions, alors même qu'on n'a rien demandé !
M. M. : Au quotidien, on ne tente pas de négocier 2 euros pour un DVD.
L.C. : Avec nos enfants respectifs, on a le même genre de situations : ils préfèrent filer se brosser les dents sans tenter de négocier...
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